C’est le gros joker de l’auto-baptisée « Phase 2 » des studios Marvel. Dans l’océan de séquelles et de reboots qui gravite autour de la franchise mastodonte Avengers, Guardians of the Galaxy tient du pari gonflé, du pile ou face lancé avec un mélange de morgue et d’excitation enfantine par un Kevin Feige sûr de ses atouts et de sa formule. Les chiffres lui donnent certes raison jusqu’à présent : dans la foulée du triomphe milliardaire de Joss Whedon, Iron Man 3 et Thor 2 ont plus que répondu aux attentes de leurs géniteurs, confirmant à chacune de leurs sorties l’intérêt vorace du public pour ces univers désormais bien établis, et devenu incontournables dans le paysage hollywoodien. Sauf couac artistique, Captain America : le soldat de l’hiver est bien parti pour casser la baraque dans les prochaines semaines, laissant toutefois la « case estivale » libre pour un film de super-héros à la fois plus ambitieux et plus casse-gueule que la moyenne.
Un space opera pour geeks ?
Guardians of the Galaxy est en effet une franchise obscure de l’univers Marvel, débutée en 1969 et poursuivie de manière épisodique jusqu’en mai 2008, date à laquelle le comic book remet les compteurs à zéro, avec une nouvelle équipe de super-héros évoluant dans un univers intergalactique qui n’est pas sans rappeler Star Wars. C’est sur cette version moderne, et le rooster de personnages qu’elle contient, que s’appuie l’adaptation filmique préparée par le studio, qui évoquait dès 2009 la possibilité de mettre sur le devant de la scène cette saga inconnue de 90 % du grand public, voire même des amateurs de BD américaines. Autant dire que le pari s’annonce risqué pour Marvel, qui doit cette fois vendre son blockbuster (le dixième du « Marvel Universe », comme un symbole) sur son nom, et non celui de la franchise elle-même.
Comme pour la plupart de ses productions, le studio a misé pour mener à bien ce space opera joyeusement débridé sur un réalisateur surprenant, guère habitué aux grosses productions. Issu de la vénérable écurie Troma, James Gunn est le prototype même du cinéaste geek autodidacte, auteur du livre “Tout ce que je dois savoir sur la façon de faire de film, je l’ai appris sur le tournage de Toxic Avenger”. Cet amoureux des séries B gorissimes (son Horribilis bénéficie d’un véritable culte outre-Atlantique, et on lui doit le script de L’armée des morts) est aussi connu pour être un grand fan de comics et de super-héros, ce que son amitié durable avec Joss Whedon et la vision du formidable Super permettent de confirmer sans problème. Omniprésent sur les réseaux sociaux, le turbulent réalisateur et scénariste de Guardians of the Galaxy est devenu en quelque sorte l’ambassadeur numéro un du projet au cours du tournage dans les studios anglais de Shepperton. Les rumeurs de casting se sont elles pratiquement étalées jusqu’au début de la post-production, plusieurs personnages importants de l’histoire étant entièrement créés par ordinateur.
Des super-héros pas comme les autres
[quote_left] »Issu de la vénérable écurie Troma, James Gunn est le prototype même du cinéaste geek autodidacte. »[/quote_left]Les personnages justement, parlons-en. Comme les Avengers, les Guardians sont basiquement une assemblée de personnalités qui s’allient par la force des choses. Seulement, les enjeux sont ici moins planétaires que cosmiques, l’univers des “GOTG” étant pour le moins bigarré. Le leader de ce groupe est un être mi-humain mi-alien, Peter Quill, alias Star-Lord (Chris Pratt, de la série Parks and Recreation, vu aussi dans Zero Dark Thirty), pilote du Milano, détenteur d’un mystérieux artefact capable de raser des galaxies que de nombreuses personnes mal intentionnés cherchent sans relâche. Les circonstances amènent cette tête brûlée infantile à s’allier avec les plus improbables partenaires : il y a le colosse nommé Drax le destructeur (Dave Bautista), une sorte d’Ent à taille variable nommé Groot (dont les seuls mots, prononcés par la voix grave de Vin Diesel, seront “I am Groot”), la sexy et létale Gamora (Zoe “Avatar en vert” Saldana), ainsi que le clou du lot, un raton laveur parlant qui ne se déplace jamais sans ses gros calibres : Rocket Racoon (qui aura la voix de Bradley Cooper). Ce personnage déjà culte a fait l’objet de toutes les attentions de la part de Gunn et son équipe, qui ont dorloté beaucoup de petits ratons pour en reproduire à l’écran les mimiques et expressions de manière fidèle. À leur poursuite sont lancés de sinistres protagonistes, aux noms aussi évocateurs que Ronan the Accuser (Lee Pace), Nebula (Karen Gillan), Korath the Pursuer (Djimoun Hounsou) et Thanos, mutant immortel et omniscient qui faisait son apparition à la toute fin d’Avengers (décidément…), et se trouve être au centre de la BD de 2008. Pour l’anecdote, l’acteur fétiche de Gunn, Michael Rooker, figure aussi au générique sous la peau bleue du chasseur Yondu.
Jusqu’à présent, tout cet univers, et ses protagonistes, étaient gardés sous clé par Marvel, sans doute désireux de garder une part de mystère autour de cette superproduction qui détone clairement dans un paysage hollywoodien affamé de franchises immédiatement reconnaissables. Le seul aperçu de cet univers, outre une preview remarquée projetée au Comic-Con 2013 et entraperçue depuis sur le Net, était la séquence post-générique peu glorieuse de Thor 2, affreusement éclairée et pratiquement incompréhensible, où apparaissait le personnage du Collectionneur (Bénicio del Toro) maquillé comme une drag queen du bois de Boulogne. Avec la diffusion ce mardi du tout premier trailer, qui s’accompagne des premières photos officielles, le voile est levé sur ce divertissement furieusement SF, que Gunn n’hésite pas à vendre comme “le plus grand spectacle qu’ait offert un film Marvel jusqu’à présent”.
Pour le spectacle, le mystère est encore bien gardé. La première bande-annonce fait office de grande introduction pour le public, Peter Quill et ses acolytes étant présentés en mode Usual Suspects. Monté en suivant le rythme du tube pop « Hooked on a feeling », remis au goût du jour en 1992 par… Reservoir Dogs, le trailer donne un premier aperçu du travail effectué sur la modélisation des personnages virtuels, Groot et Rocket Racoon en particulier, mais surtout du ton général du film, traversé par un humour régressif et potache qui ne ressemble à rien de ce que Marvel a pu produire jusqu’à présent (même si l’humour distancié y est généralement loin d’être absent). S’il semble difficile de prédire le succès ou l’échec de GOTG sur la base de ces images, une chose est sûre : Marvel y croit à fond, au point d’avoir supervisé la fabrication d’une foule de produits dérivés et de figurines, et annoncé plus ou moins officiellement la mise en chantier d’une séquelle pour 2016.
La désinvolture du personnage me rappelle un certain Malcolm Reynolds. Rien que pour ça, j’attends ce film avec impatience. Bon, aussi parce que ça a l’air de sérieusement envoyer du steak.