Paysage paradisiaque par excellence, le territoire de Gibraltar est malheureusement assez connu pour être le centre névralgique de réseaux de trafics de drogue internationaux. L’enclave britannique, qui donne son nom au détroit qui sépare l’océan Atlantique de la Méditerranée, est en effet un point de passage idéal entre l’Espagne et le Maroc, si proches qu’un voyage en jet-ski permet de relier les deux continents. Cette réalité était déjà mise en avant par le récent et mal-aimé Gibraltar, et figure à nouveau au centre de l’intrigue d’El Niño, le nouveau film du réalisateur espagnol Daniel Monzon, auteur du très bon film de prison Cellule 211. Il s’est associé au scénariste fétiche d’Alex de la Iglesia, Jorge Guerricaechevarria, pour concocter ce thriller en haute mer, aussi riche en personnages et en prises de vues rutilantes, qu’il est pauvre en surprises.
Trafic sans frontières
Le « niño » du titre est un jeune espagnol sans le sou (Jesus Castro) qui gagne sa vie en réparant des hors-bords tout près de Gibraltar. Son pote El Compi (un autre Jesus, Carroza cette fois) vient lui donner des rêves de richesse en le présentant à un certain Halil, jeune ambitieux comme eux qui cherche à faire passer de la cocaïne au Maroc. Leur trafic naissant va les amener à croiser le chemin de Jesus (décidément), joué par l’incontournable Luis Tosar (Malveillance, Cellule 211). Jesus est un flic expérimenté et infatigable, qui avec sa partenaire Eva (Barbara Lennie, vue dans La piel que habito) et son supérieur Vicente (Sergi Lopez), s’est mis en tête de boucler une bonne fois pour toutes un baron de la drogue caché à Gibraltar, « L’Anglais », joué par… Ian McShane. À cheval entre trois pays, cette double traque met bientôt les vies de chacun en danger.
[quote_center] »Monzon échoue à rendre ces personnages de jeunes truands sympathiques. »[/quote_center]
Indéniablement, El Niño apporte une véritable ampleur à son histoire en tournant sur les lieux mêmes de l’action. Contrairement à son précédent film, confiné dans un décor de studio, Monzon a cherché cette fois à impressionner la rétine, en multipliant les vues aériennes et les plans sophistiqués d’endroits finalement peu visités sur grand écran. Il en résulte un sens du lieu et de l’époque qui ancre El Niño dans un monde réaliste, et qui sonne vrai. Enfin, en ce qui concerne l’aspect enquête tout du moins : bien aidé par une poignée d’acteurs solides menés par Tosar, qui trouve l’occasion de rappeler ici qu’il n’est pas juste bon à incarner des méchants psychopathes, Monzon donne un cachet certain aux scènes rassemblant les policiers espagnols, chargés d’endiguer autant qu’ils peuvent un trafic exponentiel et juteux. Qu’ils entament des filatures après de longs mois d’écoutes, fouillent les docks à la recherche de cargaisons illégales, ou survolent le détroit en hélicoptère pour poursuivre les « mules » qui le traversent en hors-bord, les flics d’El Niño se montrent aussi tenaces que possible. Et les difficultés apparemment insurmontables qu’ils rencontrent rendent leurs rares succès d’autant plus réjouissants.
Un héros au charisme d’huître
Difficile d’être aussi enthousiaste en ce qui concerne le trio de jeunes délinquants mené par le « niño ». Il est rapidement évident que le réalisateur souhaite opposer, de manière schématique, l’expérience et le professionnalisme des flics, et l’insouciance coupable mêlée d’audace de nos trois têtes brûlées, rapidement confrontées à plus fort, et plus cruel qu’eux. Le problème, c’est que Monzon échoue à rendre ces personnages sympathiques : le plus antipathique du lot est paradoxalement le héros lui-même, incarné par la nouvelle star du cinéma espagnol, Jesus Castro. Avec sa tête de top model et son physique à la Channing Tatum, le jeune acteur a certes le profil, photogénique, de l’emploi. Mais la « révélation » ibérique a, disons-le tout net, un charisme d’huître. Mono-expressif, l’œil constamment dans le vague, Castro construit moins un personnage qu’une attitude. Son face-à-face à distance avec Luis Tosar, comédien qui lui bouffe littéralement l’écran, se révèle du coup déséquilibré.
Le coup de grâce d’un film par ailleurs bien trop long est donné quand le script inclut au forceps une histoire d’amour entre Castro et une femme marocaine, Amina (la débutante Mariam Bachir), qui se trouve être la sœur de Halil. Un procédé artificiel et fonctionnant peu, car l’alchimie entre les deux acteurs est rigoureusement inexistante entraine El niño par le fond pendant tout son acte central. Le film à suspense s’efface d’un seul coup derrière une romance nunuche au possible, avec ses scènes de sexe sur la plage et ses montages musicaux rappelant un clip de Julio Iglesias. Ce ventre mou dilue considérablement l’intérêt d’un thriller hoquetant, dont le grand méchant n’apparaît par exemple que muet, flou, de dos ou de loin, le pauvre Ian McShane se retrouvant ainsi contraint de jouer une silhouette alignant au mieux trois mots dans tout le film.
Reste donc ce sentiment de vérisme qui caractérise la filmographie de Monzon, ces scènes nocturnes impressionnantes, rappelant le Michael Mann de Miami Vice, où des hors-bords tentent d’échapper aux hélicoptères des gardes-côtes, dans un ballet mécanique fascinant et haletant. Le cœur d’El niño est à trouver là, et justifie a posteriori les récompenses techniques remportées aux derniers Goyas. Nommé 9 fois, le film se sera incliné face à un concurrent qui lui damait largement le pion au niveau dramaturgique. Ce film, c’était La Isla Minima.
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El Niño
De Daniel Monzon
2014 / Espagne / 134 minutes
Avec Jesus Castro, Luis Tosar, Sergi Lopez
Sortie le 18 juillet 2015 en VOD uniquement
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