À une époque où les politiciens rivalisent de populisme et de démagogie, avec une indécence qui dépasse chaque jour l’entendement, l’arrivée d’un film comme Miss Sloane vient rappeler que dans les coulisses, les choses sont encore plus délétères. Qui a posé un jour un œil sur les séries À la Maison Blanche et House of Cards, ou sur les dizaines de films consacrés à l’élite politicienne de Washington, a déjà croisé des personnages de lobbyistes. Profession encore plus décriée outre-Atlantique que celle des avocats, le lobbying consiste à manipuler, professionnellement, des élus de tous bords, pour qu’ils appuient la cause défendue par leurs clients. Le lobbying, qui fait aussi fureur chez nous mais de manière moins organisée, existe dans tous les domaines : finance, écologie, santé, agro-alimentaire et bien sûr armement…

Aux USA, la National Rifle Association (NRA) est sans aucun doute l’exemple le plus célèbre de la puissance que peut avoir un groupe de pression, en l’occurrence une association en faveur des armes à feu. Peu étonnant, donc, que ces « libéraux de Hollywood » aient choisi ce thème pour décrire le monde occulte des agences spécialisées dans le lobbying, au sein desquelles Elizabeth Sloane (Jessica Chastain) règne en maître. Peu importe la cause, peu importent les moyens : cette spécialiste des relations publiques et des manipulations médiatiques et autres contournements légaux est prête à tout pour gagner, et d’ailleurs elle ne vit que pour ça. Mais derrière son apparence froide et calculatrice, miss Sloane a encore des valeurs. Lorsque ses patrons lui imposent de travailler à rendre la NRA « acceptable » auprès des femmes, elle claque la porte et part chez la concurrence, dans l’espoir de faire passer une loi qui rendrait l’achat d’armes plus encadré. C’est David contre Goliath, et le début d’une guerre d’influence qui ne fait pas de cadeau : le premier à avoir des scrupules perdra la partie…

Go, Jessica, go !

Miss Sloane : la pro du lobby

Dès les premières secondes de Miss Sloane, que l’on doit au scénariste débutant Jonathan Perera et au cinéaste pour le moins académique John Madden (Shakespeare in Love, L’affaire Rachel Singer), une chose est sûre : le film vit et meurt dans chaque regard de sa star Jessica Chastain. La rousse intense de Zero Dark Thirty porte Miss Sloane sur ses épaules, elle est de tous les plans et le centre de l’attention. C’est bien simple : les rares scènes où son personnage est absent consistent à rassembler d’autres protagonistes qui vont parler d’elle, ou se demander quel est le prochain coup qu’elle prépare. L’exploration annoncée d’un univers souvent difficile à cerner et à comprendre, se double d’un portrait de femme furieusement moderne, qui ne s’excuse jamais vraiment d’être ce qu’elle est et ne s’explique pas sur les raisons qui lui ont fait choisir cette voie. Elizabeth Sloane est une pro, c’est tout.

[quote_center] »Chaque obstacle nous donne envie de la voir triompher. Mais à quel prix ? »[/quote_center]

Mais c’est aussi une femme de tête, dont la personnalité se rapproche volontiers de celle de ses collègues masculins. Sa vie privée est totalement sacrifiée et se résume à du sexe tarifé, elle traite ses subordonnés comme des pions, ne pense qu’à ses victoires et jamais à leurs conséquences… En gros, elle n’a malgré sa dimension féministe rien ne sympathique, et il fallait bien tout le mélange de séduction, de froideur calculée et de passion incendiaire de la miss Chastain pour nous faire entrer en empathie avec elle. Le scénario de Miss Sloane ménage ainsi quelques rebondissements assez spectaculaires dans sa partie centrale, parvenant à nous déstabiliser dans notre identification à cette héroïne qui porte un combat qu’elle sait, pour une fois, juste et moral. Vu de chez nous, il paraît tellement évident qu’une croisade contre les armes à feu en vente libre va dans le sens d’une société plus sûre, que chaque obstacle placé en travers de sa route nous donne encore plus envie de la voir triompher. Mais à quel prix, se demande à juste titre Perera ?

Puissances de l’ombre

Miss Sloane : la pro du lobby

Toutefois, il est permis de regretter que Miss Sloane, tout entier dévoué à sa pasionaria, néglige de donner du corps à ce débat, autrement qu’en orchestrant un parcours d’embûches plus ou moins réalistes. Le cœur du propos reste la description d’un monde d’influenceurs cyniques, qui jouent avec les votes de sénateurs et députés comme on prépare une campagne électorale. Quand on ne peut les faire changer d’avis, l’intrépide Sloane suggère tout simplement de s’attaquer à leurs proches, à leurs amis de confiance, quitte à les faire chanter, à déstabiliser des puissances étrangères (l’Indonésie en prend pour son grade dans une grosse sous-intrigue), à espionner illégalement, tout ça pour faire passer des lois, ou faire monter des sociétés en bourse. Lorsque les dialogues clignent ouvertement de l’œil à James Bond, c’est à la fois un commentaire amusé et un aveu terrible : ces puissances-là, qui feraient hurler de terreur les complotistes, se comportent comme de vrais barbouzes de la realpolitik.

C’est dans cette dimension que Miss Sloane puise son intérêt, en ne perdant jamais de vue qu’il est construit comme un divertissement du samedi soir, avant d’être un grand film politique. Ce côté schizophrène est parfois difficile à pardonner, tant il est clair, par exemple, qu’un cinéaste plus inspiré et audacieux que Madden aurait pu transcender les plus grosses ficelles du scénario. Le procès au centre duquel se retrouve projetée Sloane, par exemple, semble presque débarquer d’un autre film, avec ses coups de théâtre savamment préparés, sa tension artificielle et son dénouement moralisateur. C’est du Hollywood pur et simple, conçu pour rassurer par sa familiarité et ses lourds sabots : tout le contraire du storytelling qu’imposeraient des lobbyistes, dont le pouvoir réside justement dans les zones grises de la loi et de la morale. Cela impacte même, au final, le personnage d’Elizabeth Sloane, dont les convictions profondes semblent changer au gré des retournements de situation. Heureusement, là encore, que la magnétique Jessica est là pour commander notre attention jusqu’au verdict…


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Miss Sloane
De John Madden
2016 / USA / 135 minutes
Avec Jessica Chastain, Mark Strong, John Lightow
Sortie le 8 mars 2017
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