Jukaï, la forêt des suicides : la complainte des pendus
Le réalisateur de The Grudge se perd, et nous aussi, dans une forêt maudite qui génère plus d’ennui que de frissons.
La forêt d’Aokigahara, située au pied du mont Fuji, est un endroit malheureusement bien connu des Japonais, voire même du reste du monde. Cet espace naturel est depuis des décennies connu comme la « forêt des suicides », un lieu de prédilection pour s’ôter la vie. Dans un pays comme le Japon où le suicide est pratiquement un phénomène de société, cette forêt ancestrale a acquis une dimension symbolique particulière, que le cinéma n’a pas tardé à explorer, par exemple dans le Nos souvenirs de Gus Van Sant ou la série B fantastique The Forest. Cette fois, c’est un cinéaste japonais, le vétéran de la J-horror Takashi Shimizu (la saga The Grudge, pour faire court), qui s’y aventure avec Jukaï, la forêt des suicides, à peine deux ans après Inunaki, le village oublié, qui utilisait déjà le folklore local comme matière narrative.
Parce qu’il plane comme un parfum de mort sur la forêt des suicides de Jukaï, plusieurs personnes bravent l’interdit pour en percer les mystères, comme les deux sœurs Hibiki et Naki. Alors qu’une boîte mystérieuse est découverte dans le sous-sol d’une maison proche des lieux, les disparitions et les morts étranges s’enchaînent dans l’entourage des deux sœurs. Passé et présent s’entremêlent, alors que rejaillit le mythe d’un village oublié au cœur de la forêt, où seraient restées les personnes suicidaires qui n’ont pu passer à l’acte. Un pouvoir surnaturel règne-t-il en ces lieux ?
La forêt des ronflements
La carrière de Shimizu, contrairement à celle de ses contemporains comme Hideo Nakata, est pleine de paradoxes. Même s’il a essoré la franchise qui l’a rendu célèbre, Shimizu a aussi gagné le cœur des fans d’un certain type de fantastique, cérébral et onirique, en multipliant les expérimentations et les coups de folie. Sa carrière est zébrée de cauchemars baroques et de toiles narratives maltraitées, obéissant plus à la logique des rêves qu’à celle de la raison. Le surnaturel surgit toujours chez lui dans un cadre réaliste, anodin, à la faveur d’un simple travelling, d’une sortie de champ ou d’une irruption brutale d’un corps étranger. Le réalisateur se plaît aussi à superposer dans une même scène, grâce à des trucages artisanaux, différents niveaux de réalité ou de temporalité. Shimizu continue d’étonner et d’intriguer avec ce style qui lui appartient. Il n’y a qu’à voir son Homonculus récemment sorti sur Netflix ou, justement, Inunaki, qui ne manquait pas d’idées brillantes et de visions horrifiques grotesques.
« Jukaï se révèle soporifique pendant une bonne heure. »
Malheureusement, malgré le potentiel mystique indéniable du sujet, Jukaï n’est pas de la même eau. S’il intrigue au départ, avec des séquences comme celle en mode found footage où une Youtubeuse idiote part se perdre dans la forêt, le film finit rapidement par dérailler et à nous perdre, nous aussi. Le cinéma de Shimizu impose d’être patient. Mais Jukaï se révèle soporifique pendant une bonne heure. La faute à une interprétation peu glorieuse et à des personnages sans épaisseur, à un MacGuffin (la fameuse boîte noire, qui renferme un secret plutôt gore) artificiel et peu intéressant, à une tenue visuelle assez pauvre aussi. Décousu, sans rythme, le montage annihile toute sensation de progression dramatique – c’est à peine si les personnages semblent affectés par les morts qui s’accumulent. Quand le fantastique envahit enfin l’écran dans le dernier tiers, avec sa horde d’âmes en peine et de végétations envahissantes, il est trop tard.