Hellraiser : torture sans fin ou plaisir coupable ?
Quasi-reboot d’une franchise exsangue, Hellraiser actualise le mythe gore SM de Clive Barker avec soin et déférence. C’est déjà beaucoup !
Au rayon des licences maudites surexploitées par des producteurs charognards (en l’occurrence ici les frères Weinstein, via leur société Dimension Films), Hellraiser figure en bonne place aux côtés des Amityville et autres Enfants du Maïs. La différence étant ici que le film original, celui de Clive Barker daté de 1988, est un classique pur et dur du cinéma gore et transgressif d’avant l’ère numérique. Monté avec des bouts de ficelle et une batterie de maquillages et prosthétiques incroyables, Hellraiser premier du nom, adapté de la nouvelle de l’indomptable écrivain réalisateur, choquait, fascinait et révulsait à égale intensité. En plus d’introniser un nouveau méchant emblématique, Pinhead, dans l’Histoire du cinéma, le film ouvrait une porte sur un univers parallèle énigmatique, inquiétant, un cercle de l’Enfer fait de chaînes, de chair dévastée et d’infinies douleurs. Une mythologie explorée d’abord avec entrain et imagination (en gros, dans Hellraiser 2 : Les écorchés et Hellraiser 3) puis sans vergogne et de façon opportuniste (7 films tous déplorables en 20 ans !).
S’il y a bien un univers qui pouvait donc sortir grandi d’une forme de remise à zéro des compteurs, dans l’océan de reboots qui submerge le cinéma fantastique actuellement, c’était bien Hellraiser. Chose faite en 2022 avec cette production éponyme financée convenablement par Hulu (donc Disney !), adoubée par Barker (qui avait quitté le navire il y a des lustres) et dirigée par un vrai talent nommé David Bruckner, réalisateur de La proie de l’Ombre et Le Rituel. Un gage de sérieux qui se traduit à l’écran – le film n’est pas un remake, ou une espèce de legacyquel douteuse – même si le résultat patine un peu dans les facilités et affiche une durée déraisonnable (plus de 2 heures) au vu de ses ambitions.
Les Cénobites en vedette
Véritable univers étendu s’étant développé au-delà des longs-métrages dans de multiples BD et romans (et bientôt une série), la mythologie de Hellraiser est explorée dans le film de Bruckner par le petit bout de son cube maudit. Le Rubik’s cube de l’extrême est le cœur et la pièce maîtresse autour duquel se construit tout le scénario. Riley (Odessa A’zion) est une ex-junkie fragile entraînée par son petit copain dans le vol d’un coffre-fort contenant l’artefact, dont les rouages sont conçus pour précipiter ses propriétaires dans une dimension maudite, le Leviathan. Un monde dont les gardiens et dealers d’infinies tortures sont les Cénobites, dirigés par Pinhead (Jamie Clayton, actrice transgenre vue dans Sense 8). Riley et ses proches vont évidemment être victimes de ces maléfices plus maso que sado, et remontent la trace de l’ancien propriétaire de la babiole millénaire, le millionnaire Roland Voight (Goran Visjnic), pour sauver, assez littéralement, l’intégralité de leur peau…
« Bruckner instaure une atmosphère angoissante, déstructure ses décors et dérègle la réalité avec un soin palpable. »
Ils sont donc bien là, le cuir au placard, mais le corps tordu et déchiré d’innommables façons : les Cénobites, stars de la saga, prennent dans cette cuvée 2022 un coup de jeune (en plus d’être intégralement féminins) tout en conservant intact leur pouvoir tétanisant. Imaginatives et affichant un look un poil trop plastique, ces créatures infernales ménagent aussi leurs apparitions, David Bruckner décidant de les laisser hors-champ pendant une bonne partie du film. Le premier acte d’Hellraiser, passé un prologue à la fois trop prude et trop révélateur, consiste ainsi en une longue exposition introduisant un jeune casting plutôt investi – et dont l’interprétation sonne vrai, autant que puisse le permettre leurs personnages grossièrement écrits. Odessa A’zion en particulier campe une héroïne à la Euphoria avec un surplus d’intensité qui permet de justifier le temps passé avec ses propres démons. Mais c’est lorsque le cube, dont les fonctions sont pour une fois expliquées en détail, commence à faire des siennes que le film prend son envol. Bruckner instaure une atmosphère angoissante, déstructure ses décors et dérègle la réalité avec un soin palpable (la photo est impeccable), qui fait oublier les scories gênantes du script, entre passages obligés, victimes désignées et révélations prévisibles à des kilomètres.
Si Hellraiser se démarque, c’est par le premier degré toujours dérangeant de ses créatures grotesques. La peau tirée dans d’improbables directions, l’androgyne Pinhead et ses sbires conservent cette dimension d’anges du mal impitoyables, moins des croquemitaines underground que des manifestations baroques du destin punissant les humains pour leurs faiblesses et leurs déviances. Un aspect que ce nouveau film élude quelque peu, la faute à des héros lisses et dénués d’ambiguïté, bien éloignés de la perversion coupable propre aux premiers opus. Culminant dans un acte final où une avalanche de gore graphique viendra contenter les fans endurcis de la saga, Hellraiser fait revivre cette franchise hors des modes sans génie, mais avec application. Difficile de dire cependant si elle pourra faire de nouveaux adeptes en dehors des connaisseurs nostalgiques…