David et Viggo étaient là hier, ils ont fait aussi l’événement ce vendredi : les stars du Festival de Beaune 2018, qui bat toujours son plein, ont été au cœur d’une soirée rythmée par la faconde de Jean-François Rauger, l’hommage sincère de Mortensen et la verve amusée de Cronenberg lui-même, ravi de se faire symboliquement « passer les menottes » en Bourgogne entre deux projets littéraires (ou cinématographiques ? Viggo est ouvert à une quatrième collaboration en tout cas). Et la sélection dans tout cela ? Elle a atteint son premier sommet vendredi, et – c’est du moins l’avis d’une partie de la rédaction – son premier vrai gouffre aussi. Compétition, Sang Neuf et avant-premières : on vous dit tout ci-dessous !


Une prière avant l’aube : uppercut sensoriel

Les bons échos engrangés depuis le festival de Cannes 2017 ne mentaient pas : Une prière avant l’aube, en compétition dans la sélection Sang Neuf, a fait figure, au bout de quelques jours, de premier uppercut du festival. Second long-métrage cinéma de Jean-Stéphane Sauvaire, qui avait marqué les esprits en 2007 avec les enfants soldats de Johnny Mad Dog, Une prière avant l’aube persiste dans la voie du cinéma-vérité qui fait mal, en adaptant la biographie de Billy Moore. L’histoire d’une boule de nerfs incontrôlable, arrêté en Thaïlande entre deux matchs de boxe underground pour deal de drogue, et jeté dans une prison archaïque et surpeuplée qui ferait presque reconsidérer la glauquerie de Midnight Express et Carandiru. Seul blanc dans un océan de corps asiatiques tatoués jusqu’aux paupières, Moore verra, ou pas, sa rédemption arriver sous la forme d’un tournoi de boxe… Le corps meurtri, malaxé, chéri, poussé jusqu’au bout de ses limites, c’est bien le cœur battant du film de Sauvaire, qui nous propulse dans un chemin de croix aussi bien physique que mental. Le sound design, le montage heurté et la mise en scène tantôt étouffante ou transcendantale, deviennent les atouts d’un récit qui se passe souvent de dialogues ou même de sous-titres pour nous faire sentir la détresse, l’isolement et la quête de paix intérieure qui agite son héros, que jamais la caméra ne lâche. Tâche ardue donc pour l’acteur, mais Sauvaire peut s’appuyer aussi sur un extraordinaire, et le mot est faible, Joe Cole (Green Room), qui met son corps, son âme et ses tripes au service de ce voyage aux effluves quasi mystiques. Une claque.


Frères de sang : l’école d’hôtellerie mène à tout…

… Même à devenir tueur à gages pour le compte de la mafia italienne, apparemment. Dans une Italie version 2018, la mafia n’a pas fait suffisamment de mal. Elle sévit toujours et paye bien davantage que la livraison de pizzas. Comme une dénonciation énervée du système social italien, Damiano et Fabio D’Innocenzo mettent en scène deux amis désespérés ne jamais pouvoir joindre les deux bouts. Lorsqu’une « opportunité » professionnelle de rejoindre un clan mafieux se présente, ils s’engagent dans l’espoir d’une vie meilleure. Poussés par l’espoir aveugle d’un de leurs aînés, ils entrent en criminalité comme une évidence, comme si, pour une certaine classe italienne la possibilité d’une vie meilleure s’était éteinte, sur fond de racisme ambiant comme une flamme soufflée par des années d’austérité et de corruption. Aussi, la famille Pantano devient une sorte de Pôle Emploi local. Elle accueille des jeunes qui ne voient aucune conséquence dans leurs actes et pour qui l’acte de tuer se résume à son aspect le plus lucratif. Sans apparaître comme une fresque mafieuse, Frères de sang raconte la petite histoire de seconds couteaux piégés un peu trop vite par leur propre bêtise. Porté par Andrea Carpenzano et Matteo Olivetti, les « Tic et Tac » de la gâchette, Frères de sang ne brille pas par sa réalisation, pataude, mais se distingue par le grand cri d’alarme qu’il entonne.


Fleuve noir : un polar qui coule à pic

L’absence sur le tapis rouge des principales (et pourtant nombreuses) stars du casting, les déclarations de Sandrine Kiberlain – qui boycotte ouvertement le film -, le remplacement précipité de Depardieu par Vincent Cassel, une sortie annoncée au cœur du désertique mois d’août : tous les signaux étaient au rouge pour Fleuve Noir, nouveau film d’Erick Zonca (La vie rêvée des anges) et incursion franche dans le film policier à suspense. Sur le papier, l’intrigue sent bon la fin de soirée télévisuelle dominicale, mais pourquoi pas : un ado disparaît dans une banlieue parisienne, un flic marchant à l’instinct cuisine les parents et un voisin étrange tout en tâchant de maintenir son fils hors de prison… Du tout cuit si l’on y met la forme, et une thématique sous-jacente, impossible à spoiler, qui inspire le sérieux. Mais les faits sont là : Fleuve Noir – vous nous direz si vous avez compris le pourquoi du titre, en dehors de l’hommage littéraire – est un ratage, un vrai, un accident de voiture que l’on regarde effaré au ralenti. Vincent Cassel, possédé par le Sheitan, semble émuler un Nicolas Cage qui jouerait une version ordurière et alcoolique de Columbo. Romain Duris surjoue le suspect idéal avec une totale absence de décence dans le cabotinage, tandis que Sandrine Kiberlain paraît constamment chercher du regard son agent pour la tirer de là, et qu’Elodie Bouchez plane en pleine « perf » digne du Palmashow. Tout ça est très gênant, notamment dans la description de l’homosexualité clandestine, digne des films de loubards français des années 80, mais reste parfois délicieux au second degré : on rit beaucoup trop souvent dans Fleuve Noir, en espérant secrètement qu’il s’agissait de l’effet recherché. C’est peu probable.


The Guilty : investigations par téléphone

Chaque jour, le policier Asger Holm reçoit les appels d’urgences. Lorsqu’une femme kidnappée appelle à l’aide, il tente d’en savoir davantage, mais elle raccroche sans avoir donné suffisamment d’éléments pour permettre sa localisation. Armé de son seul téléphone, Asger se lance dans une course contre la montre pour lui venir en aide. Testé avec succès avec Talk Radio et plus tard avec Pontypool, le thriller « audio » reste un véritable plaisir de scénariste. Contrairement aux effets visuels déployés avec imagination par ces deux classiques du genre pour compenser le côté statique du dispositif, The Guilty reste sombre, voire pauvre. Heureusement, Gustav Möller, qui endosse l’unique rôle important de cette histoire dont les rebondissements ont tous lieu à l’autre bout du fil, assure la responsabilité d’avoir la caméra braquée sur son visage durant une heure et demie. Bien que le film ménage très bien son suspens, il ne s’appuie pas assez sur sa mise en scène. Dommage, car nous aurions aimé découvrir l’univers de ceux qui répondent au téléphone lorsque le 15 est composé et non le survoler et s’interroger même sur la crédibilité de certains protocoles. The Guilty reste une mise-en-bouche divertissante, mais en rien un plat complet.