Bliss : voyage soporifique dans la matrice
Jouant avec un genre, la science-fiction, qu’il ne veut jamais embrasser, le bancal Bliss repose sur les pérégrinations existentielles du duo Salma Hayek-Owen Wilson.
Sept ans, déjà, après I, Origins, le cinéaste américain revient au genre de la SF indé qui lui avait permis de se faire remarquer, sous l’égide cette fois d’Amazon Studios. Et c’est en toute logique un couple de vedettes hollywoodiennes, le revenant Owen Wilson et Salma Hayek, qui tient le haut de l’affiche de Bliss, film que Cahill a à nouveau écrit et réalisé. Et on ne peut pas dire que les deux stars fassent de la figuration : contrairement à ce que pouvait laisser penser sa trompeuse bande-annonce, Bliss est un film de science-fiction ultra-minimaliste qui repose essentiellement sur l’interaction entre les personnages de Wilson et Hayek. Après les découvertes spatiales (dans Another Earth) et la recherche génétique (dans I, Origins), Cahill exploite un nouveau filon thématique, la simulation de réalité chère aux Wachowski – mais pas qu’eux -, qui servira d’argument encore plus ténu qu’avant pour justifier les questionnements existentiels de ses héros, coincés dans une sinistre et aliénante réalité qui n’est peut-être pas la vraie – de réalité.
Réalité désordonnée
Greg (Owen Wilson, qui pousse les potards de l’inquiétante hébétude jusqu’à 11) est un salary man au bord du gouffre, depuis qu’il est devenu obsédé par ses visions d’une cité lacustre magnifique, vénitienne, qu’il est persuadé de connaître sans l’avoir visitée. Griffonnant ses dessins au boulot, Greg se voit viré dans de drôles de circonstances (sincèrement, cette ouverture lancinante et bizarre est presque le meilleur moment du film) et tombe rapidement sur Isabel (Salma Hayek, excentrique jusqu’à en être difficilement supportable), une femme qui en sait beaucoup sur lui. Isabel, qui vit en marge de la société entre deux branches d’autoroute, persuade Greg qu’il vit dans une réalité simulée, un programme informatique dont il ne peut s’extirper qu’en avalant des cristaux colorés. Dans cette simulation, Greg et Isabel peuvent jouir de pouvoir télékynétiques et ne pas soucier des conséquences. Mais Greg a une famille dont il s’est éloigné, notamment une fille qui veut renouer des liens avec lui. Cet attachement est-il une chimère, ou la fameuse cité paradisiaque est-elle la seule réalité qu’il doit accepter ?
« Bliss se révèle être une étude de cas psychologique, utilisant la béquille de l’univers simulé. »
Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que Bliss incorpore dans ce scénario plusieurs allers-retours acrobatiques entre ces mondes parallèles, façon Matrix, quitte à les faire se télescoper pour créer un véritable vertige sensitif chez le héros et le spectateur, Cahill choisit au contraire de maintenir le doute sur le caractère « réel » de cette histoire. Plus qu’une aventure galvanisante révélant à un personnage cloisonné dans un monde qu’il ne veut plus affronter son véritable destin (un proto-Néo, en somme), Bliss se révèle être une étude de cas psychologique, utilisant la béquille de l’univers simulé pour mieux nous questionner sur la dangerosité des chimères, sur la nécessité aussi d’entretenir nos rêves quand la réalité devient trop étouffante. Aussi curieux dans sa faculté à maintenir le doute sur les déambulations rocambolesques et parfois destructrices de Greg et Isabel (hallucinations ? Dérive paranoïaque mutuelle à la Bug ? Pure science-fiction ?), que pachydermique dans sa narration, qui semble errer sans rythme et sans but – le monde vénitien apparaît bien tard et pour peu de temps -, Bliss désarçonne, souvent, et ennuie, beaucoup. Cahill signe un film froid et claudiquant, qui se rêve bien plus provocateur et poétique qu’il ne l’est vraiment. Un film en forme d’impasse, donc, à l’image de ses dernières minutes indolores et pataudes, en forme de points de suspension bien pratiques…