City of Lies : l’inspecteur Depp ne renonce jamais
Le mystère entourant le meurtre du rappeur Notorious Big est au cœur du foisonnant City of Lies, porté par un sobre Johnny Depp.
L’amoncellement de polémiques entourant depuis plusieurs années Johnny Depp, conséquence de sa relation tumultueuse (euphémisme poétique) avec Amber Heard, a fini par faire oublier que l’acteur bientôt soixantenaire continuait malgré tout d’enchaîner les projets cinématographiques, avec plus ou moins de réussite. Après Minamata, biopic sur le photojournalisme passé complètement inaperçu, Depp a un peu plus marqué les esprits avec ce City of Lies notamment projeté au festival de Deauville. Un polar inspiré de faits réels où il partage la vedette avec Forest Whitaker : bien sûr loin des machines commerciales comme Pirates des Caraïbes ou Les animaux fantastiques (franchise dont il s’est par ailleurs fait éjecter), mais revoir le comédien dans ce type de rôle « adulte », sérieux et pas du tout cabotin, est mine de rien devenu une rareté.
La cité des anges déchus
Récit étalé sur plus d’une trentaine d’années au cœur de Los Angeles, City of Lies n’est pas tiré de n’importe quelle affaire criminelle : le film nous plonge en effet dans les arcanes de l’enquête sur l’assassinat de Christopher Wallace, alias Notorious B.I.G., en 1997. Le célèbre rappeur originaire de la côte Est avait été abattu en Californie un an après son tout aussi fameux « rival », Tupac Shakur. Le crime, qui n’a jamais été officiellement élucidé (l’enquête est encore aujourd’hui en cours), a embrasé et polarisé la société américaine à l’époque, au même titre que les émeutes de Watts, le procès d’O.J. Simpson ou le scandale « Rampart ». La corruption policière et l’ambiance mafieuse de management autour des deux artistes ont été pointées du doigt au fil des investigations, menées par Russell Poole (Johnny Depp). Un officier droit comme la justice, peu à peu mis sur la touche pour avoir mis en cause le tout-puissant LAPD. Vingt ans plus tard, le désormais retraité, toujours obsédé par le dossier, est contacté par le journaliste Jack Jackson (Forest Whitaker) pour faire sortir de l’oubli ce meurtre, qui n’est pas dû selon lui à une soi-disant guerre des gangs…
« Comme dans toute bonne enquête obsessionnelle, plus le héros s’approche de la vérité, plus elle se tortille pour lui échapper. »
Pour les spectateurs français, plonger dans l’histoire du gangsta rap américain des années 90-2000 par le prisme de ses deux plus fameuses « victimes » s’apparente à un cours d’histoire accéléré, qui dans City of Lies pourra même laisser sur le carreau si l’on n’y prête pas attention. L’intérêt du film, réalisé par l’honnête artisan qu’est Brad Furman (La défense Lincoln, Infiltrator) ne se situe pas forcément là : ce qui est mis en avant ici, de manière parfois maladroite et démonstrative (le premier quart d’heure est sacrément boiteux), c’est le portrait d’un inspecteur trop borné et naïf pour ne pas voir que ses efforts se heurteront toujours à des guerres d’influence qui le dépassent. Concerné et impavide, Depp se montre d’une sobriété à toute épreuve dans ce rôle, s’effaçant derrière une narration ambitieuse et chaotique, qui ajoute des couches de preuves, de mystère et d’interrogatoire à la manière d’un JFK californien. Comme dans toute bonne enquête obsessionnelle, plus le héros s’approche de la vérité, plus elle se tortille pour lui échapper. Moins rigoureux qu’un Oliver Stone, Furman nous guide dans cette histoire avec une ambition un peu coincée dans sa réalisation fonctionnelle. Mais la modestie du projet, son côté ultra-documenté, qui regarde dans les yeux les travers d’un système favorisant les engrenages criminels au sein de ses forces de l’ordre, contribue à faire oublier – en partie – ces évidentes carences.