Coda : les signes sont au vert
Triomphe feel good des Oscars, le modeste Coda émeut sans surprendre, tout en surpassant sans peine son modèle.
Carton certifié au box-office français en 2014, La famille Bélier, en plus de lancer la carrière de la jeune chanteuse pour ados Louane, avait mis en lumière une communauté trop peu représentée au cinéma, celles des sourds et malentendants. L’originalité étant que le film était une comédie, légère et sirupeuse certes, mais qui ne traitait pas ses personnages comme la langue des signes de haut. Comme tous les succès au sujet atypique à travers le monde, La famille Bélier a fini par attirer l’attention des producteurs hollywoodiens. Les producteurs français sont partis à l’assaut des USA pour concevoir main dans la main avec eux l’inévitable projet de remake, désormais nommé Coda (acronyme de « Children of deaf adults »). Relocalisée au bord de la mer, cette nouvelle adaptation s’avère à la fois fidèle à son modèle et s’en affranchit par endroits pour trouver sa véritable identité – et la source d’un succès encore plus retentissant.
La voix du succès
À la communauté rurale qui servait de décor à La Famille Bélier succède donc la communauté de pêcheurs d’une petite bourgade du Massachusetts. Ruby Rossi (la révélation Emilia Jones, déjà croisée dans la série Locke & Key) est une adolescente qui rêve de vivre de passion, le chant, mais sert aussi et avant tout de pilier pour sa petite famille de pêcheurs. Son frère, Leo (Daniel Durant) et ses parents Frank (Troy Kotsur) et Jackie (Marlee Matlin) sont tous les trois sourds, contrairement à Ruby – celle-ci fait la traductrice pour leurs rendez-vous médicaux, leurs échanges avec la coopérative maritime, l’école… Une responsabilité exténuante, qui devient impossible à gérer quand Ruby est repérée par le prof de musique de son lycée (Eugenio Derbez) qui lui conseille de préparer l’audition pour une grande école, et quand elle démarre une liaison avec Miles (Ferdia Walsh-Peelo), lui aussi fan de musique…
« Coda n’est pas conçu pour marquer l’Histoire, mais pour émouvoir, avec ses grosses ficelles, ses montages musicaux mielleux et sa bande-son au poil. »
Dans la longue et tumultueuse histoire des remakes américains de comédies françaises (vous vous souvenez des remakes d’Intouchables ? Ou de Taxi ? Il vaut mieux faire comme si, non ?), Coda vient relever, modestement, le niveau, en élevant de quelques crans la qualité de son matériau d’origine pour livrer un feel good movie pure souche, qui tire sa force du milieu qu’il met en vedette. La Famille Bélier était une comédie franchouillarde et pauvrement filmée (revoyez les extraits de l’original, sérieusement, on se croirait dans une fiction France 3 mal éclairée) : le film de la réalisatrice Sian Heder (inconnue au bataillon auparavant) soigne lui son apparence et ne rechigne pas à élargir son horizon, en nous immergeant par exemple dans le rude quotidien de pêcheurs asservis de la famille Rossi. Mis à l’écart à cause de leur handicap, Frank et Leo n’en sont pas moins des travailleurs qui ne veulent pas de traitement de faveur, mais se reposent en fait, sans s’en rendre compte, sur la présence de Ruby. Il y a plus de matière dramatique dans ces confrontations, dans cette quête d’intégration d’une communauté dans l’autre, que dans la bluette de Ruby ou son apprentissage musical, scènes mille fois vues ailleurs avec plus de personnalité et d’originalité, mais qui demeurent des passages obligés sauvés inévitablement par le savoir-faire des acteurs.
Pimp my remake
De ce point de vue aussi, Coda est une amélioration par rapport à son modèle : Emilia Jones, si elle chante aussi bien, est une bien meilleure actrice que la boudeuse Louane, et ses doutes, son exaspération, sa complicité avec les siens deviennent plus évidents, touchants et universels. Le film doit aussi à la véracité d’un casting sourd… « pour de vrai », jamais dans l’outrance, mais qui saisit ici la chance d’une vie. Si Marlee Matlin avait déjà été oscarisée pour Les enfants du silence et demeurait la comédienne sourde la plus connue à Hollywood, son partenaire Troy Kotsur est lui aussi une révélation. Tout aussi hirsute que François Damiens, son Frank reste cet égocentrique dur au mal et volontiers railleur, mais il lui apporte un surplus de peine et de dégoût pour la société qui touche souvent juste.
Remake fidèle, mais comme « pimpé » pour devenir la version la plus efficace, la plus tire-larmes de cette histoire, avec ses plans et scènes signature (la famille qui applaudit les mains levées sans l’entendre la prestation de la fille prodige, le signe final qui résume l’amour sans un mot), Coda n’est pas conçu pour marquer l’Histoire, mais pour émouvoir, avec ses grosses ficelles, ses montages musicaux mielleux et sa bande-son au poil (Marvin Gaye remplace Sardou, on y gagne quand même). Ce savoir-faire a suffi à lui valoir l’approbation de Sundance (où il a récolté 4 prix), l’amour d’AppleTV+ (qui a déboursé une somme record pour l’acquérir en pleine pandémie avant d’en faire un petit phénomène médiatique) puis les accolades de l’Académie, qui vient de lui remettre l’Oscar du meilleur film, du meilleur acteur dans un second rôle et du meilleur scénario adapté. C’est peut-être démesuré. Mais c’est la force des sujets inclusifs. Et l’indicateur qu’en cette période incertaine, fragmentée, venir magnifier sans arrière-pensée les liens du sang et la force de l’amour face à tout ce qui nous isole reste une valeur sûre.