Et le ciel s’assombrit : l’innocence sous les bombes
Le réalisateur Ole Bornedal retrace sans fards une page d’Histoire tragique pour le Danemark dans Et le ciel s’assombrit.
« L’innocence est la première victime de la guerre ». Cette phrase aux allures de vérité immémoriale, plaquée en 1986 sur les affiches du Platoon d’Oliver Stone, pourrait s’appliquer sans problème au nouveau film d’Ole Bornedal, réalisateur à cheval depuis trente ans entre son Danemark natal et Hollywood, où il a fait quelques incursions suite au succès local de son Veilleur de Nuit. Plutôt étiqueté « faiseur de séries B », Bornedal a fait une incursion remarquée dans la reconstitution historique en 2014 avec la mini-série guerrière à gros budget 1864. Avec Et le ciel s’assombrit, le cinéaste change de siècle, mais ausculte une fois encore un épisode catastrophique de l’Histoire danoise : non pas une bataille, comme le contexte de la Seconde Guerre Mondiale le laisserait penser, mais une véritable tragédie, ayant marqué au fer rouge l’inconscient national.
Jour fatidique à Copenhague
En mars 1945, le Danemark fait partie des derniers pays d’Europe à ne pas avoir été encore libéré du joug nazi. Les Britanniques lancent l’opération Carthage, pour désigner le raid aérien qui va viser, le 21 mars, le quartier général de la Gestapo à Copenhague. Un lieu stratégique où sont alors enfermés de nombreux Résistants danois. Des boucliers humains pour les Allemands, mais l’importance de cet immeuble bunkerisé était assez grande pour justifier ce sacrifice. Seulement, ce jour-là, l’opération prend une allure horrifique : l’accident fatal d’un des avions de tête, en pleine ville, va induire en erreur les bombardiers, qui vont lâcher leurs engins de mort… sur l’école française pour filles Jeanne d’Arc, remplie d’élèves et de sœurs. Pris dans le chaos, un garçon traumatisé, une bonne sœur en pleine crise théologique et deux petites filles débrouillardes, mais fragiles font face à leur destin…
« Le film n’est pas avare en scènes-choc, qui préparent le terrain pour un dernier quart d’heure assez costaud émotionnellement. »
Bien qu’il soit sorti dans son pays natal en 2021, le film d’Ole Bornedal n’aurait pas pu plus mal choisir sa date de mise en ligne sur Netflix. Alors que les chaînes d’info montraient des images de maternités ciblées par des frappes russes en Ukraine, voir cette fiction retracer sans lyrisme déplacé la destruction d’une école, qui plonge toute une ville dans la détresse en quelques implacables minutes, provoque un sentiment troublant, déstabilisant. Et le ciel s’assombrit n’est pas pour autant une symphonie du chaos : le film s’attarde avec patience sur un groupe de personnages, adultes et enfants, dont les chemins vont finir par se rejoindre en ce jour fatidique, où une centaine d’innocents trouvèrent la mort. L’incursion du côté anglais, et de ses pilotes taraudés par leurs erreurs, est plus anecdotique, mais nécessaire. Derrière ses gros moyens, son assez opulente reconstitution, le film prend soin de décrire, sans juger, des personnages qui font des erreurs, agissent ou restent impuissants, survivent ou succombent. Des personnages qui affrontent une Histoire en marche qui les dépasse, où l’injustice les tient chacun en joue.
Bornedal n’est pas connu pour retenir ses coups : le film n’est pas avare en scènes-choc qui servent son propos existentiel (à quoi bon vivre, aimer, grandir quand la mort frappe, sans relâche et sans discernement ?) et préparent le terrain pour un dernier quart d’heure assez costaud émotionnellement. Une catharsis simple, sans emphase, qui justifie les quelques longueurs et sous-intrigues sous-développées parsemant un métrage visiblement destiné à hanter les esprits autant qu’à rendre hommage aux défunts.