Le premier film d’Eli Craig, Tucker and Dale vs Evil, figure depuis des mois au programme des festivals du monde entier. Les Anglais ont une expression pour ce type de film généralement diffusé à minuit devant une audience en ébullition : crowd pleaser.  Un pur plaisir de spectateur. Et l’effet magique du film se vérifie à chaque fois : Tucker & Dale  (1) est un véritable bijou de comédie horrifique, appelé à faire l’objet du même culte que des Zombieland ou Shaun of the Dead d’illustre mémoire, à ceci près que les codes qu’il détourne sont un poil moins populaires. Car l’idée brillante de Craig et son co-scénariste Morgan Jurgenson est tout simplement de s’attaquer au sous-genre très usé du « slasher redneck », en inversant les clichés habituels.

Lasseter, Craig : même combat ?

Les futures victimes d’un nouveau Jason ? Non, juste une bande de crétins qui a vu trop de films…

Dans les années 70, des cinéastes comme Tobe Hooper ou John Boorman ont terrifié des générations de citadins qui avaient fini par oublier le goût de la terre et l’odeur du foin, en leur présentant la campagne américaine comme un repère d’attardés cannibales et consanguins, le plus souvent armés d’outils bien rustiques (une tronçonneuse, un arc, la bonne vieille machette) pour décimer spécifiquement de l’ado pas dégourdi – et les représentants des forces de l’ordre en passant.

Les chocs provoqués par Délivrance ou Massacre à la tronçonneuse ont été assez durables pour que le genre explose dans les années 80, avec l’emblématique saga Vendredi 13 bien sûr, mais aussi Massacre au camp d’été, Survivance et bien d’autres. Le cliché du bouseux menaçant (généralement habitant des États de la « Corn belt » étasusienne) a perduré jusqu’à intégrer l’inconscient collectif et, de manière détournée les films grand public. On ne compte plus le nombre de comédies centrées autour d’un Américain moyen découvrant (souvent contre son gré) les vertus régénératrices de l’Amérique profonde : même Pixar en a fait un film, nommé Cars.

Tucker & Dale n’est d’ailleurs pas si éloigné du film de John Lasseter. Si si. Dans les deux cas, les véritables héros de l’histoire sont victimes des préjugés d’étrangers ne se fiant qu’aux apparences (ruraux = arriérés) pour les juger. La différence étant que Lightning McQueen n’est pas puni de sa condescendance par un passage express dans une broyeuse à bois.

Détour moqueur

Tucker et Dale, deux bons gars aussi maladroits que naïfs qui vont, hum, fighter le mal.

Car s’il y a bien un message de tolérance et de compréhension derrière Tucker & Dale, l’objectif essentiel est d’inverser le principe d’un Détour Mortel (dernier glorieux exemple en date) : ici, ce ne sont pas les « rednecks » qui rôdent dans les bois pour occire leur prochain, mais des – vieux – ados décérébrés qui se persuadent qu’il s’agit de serial killers. La méprise est d’autant plus hilarante que les dit Tucker (Tyler Labine, adorable nounours maladroit qu’on avait déjà apprécié dans la série Reaper) et Dale (Alan Tudyk, un régulier de Joss Whedon) sont d’adorables andouilles, qui rêvent juste de profiter de leur cabane au bord du lac et sauvent l’une des filles de la bande, Allison, de la noyade. Des Laurel et Hardy du Sud, en quelque sorte, qui s’enfoncent malgré eux dans des quiproquo macabres, au fur et à mesure que le gang mené par le sportif de service, Chad, s’auto-décime accidentellement en tentant de neutraliser ces deux ahuris.

Comme Shaun of the Dead, Tucker & Dale réussit le pari de mener de front humour noir et gore cartoonesque, relançant sans cesse sa machine à rebondissements, en faisant intervenir après chaque « accident » de nouveaux personnages toujours plus à la masse, ainsi qu’une histoire d’amour touchante entre Tyler et Allison. Les mises à mort, aussi stupides qu’inattendues, sont assez inventives pour surprendre, et s’empilent à cause d’une malchance tellement « hénaurme » (on penserait presque à Destination finale) que les éclats de rire sont constants.

L’énergie des dialogues, bourrés de clins d’œil plus ou moins subtils, et l’alchimie entre les deux acteurs principaux sont aussi de sérieux atouts, et on peut seulement reprocher à ce vaudeville ubuesque de se terminer sur des rails un peu trop classiques, une fois que toutes les quiproquos possibles ont été épuisés, et que le véritable méchant de l’histoire (tout aussi réussi que les faux) est révélé. Malgré cette petite baisse de régime, Tucker & Dale mérite sa place au panthéon des comédies d’horreur cultes, un genre parmi les plus difficiles à maîtriser, mais les plus jouissifs à voir (en salles, mais ça c’est plus dur) lorsque le film est réussi.

(1) On va gentiment oublier la traduction française – sic – complètement nawak, Tucker et Dale fightent le mal.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
Tucker and Dale vs Evil
De Eli Craig
2010 / USA/Canada / 89 minutes
Avec Tyler Labine, Alan Tudyk, Katrina Bowden
Sortie le 1er février 2012
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