Frankenstein : une évidence à la hauteur de sa déception

par | 14 novembre 2025

Frankenstein : une évidence à la hauteur de sa déception

Sa patine numérique et son absence de subtilité handicapent le Frankenstein de Del Toro, traversé pourtant de beaux moments de cinéma.

Le projet d’adaptation des Montagnes hallucinées d’Howard Philip Lovecraft par Guillermo Del Toro demeure probablement le fantasme absolu de tous les fans du réalisateur mexicain, plus encore que son idée d’un Monte Cristo sauce western. Sa version de Frankenstein, elle, se faisait également attendre, tant le roman de Mary Shelley, les illustrations de Bernie Wrightson (à la base du roman graphique de 1983) et le film éponyme de James Whale avec Boris Karloff irriguent une bonne partie de son cinéma. Après l’hommage touchant aux Universal Monsters de La forme de l’eau et sa créature du lac noir, puis au Freaks de Tod Browning à travers le mésestimé Nightmare Alley, Del Toro se frotte cette fois à l’un de mythes les plus indéboulonnables du cinéma. Et c’est à nouveau sur Netflix, après sa version en stop-motion de Pinocchio en 2022, que le cinéaste donne corps à son rêve, dans une œuvre inégale étant le condensé de 30 ans de carrière.

Victor Frankenstein (Oscar Isaac), scientifique brillant marqué par la mort de sa mère (Mia Goth, dans un double rôle décisif) et d’une relation conflictuelle avec son père (Charles Dance, qui jouait déjà ce rôle dans Docteur Frankenstein), va consacrer son existence à tenter de vaincre la mort. Aux portes de celle-ci, il va nous conter comment il a réussi à donner vie à une créature (Jacob Elordi), dont la négligence engendrera le drame autour de lui, et poussera cette dernière à se venger de son créateur jusqu’au bout du monde…

Une adaptation en demi-teinte

Frankenstein : une évidence à la hauteur de sa déception

Si Frankenstein, tourné intégralement en grand angle, est parfois picturalement somptueux, le grisâtre occasionnel de sa photo fait perdre l’ampleur d’un film profondément maximaliste. Possédant indéniablement le production design le plus spectaculaire de l’année, le long-métrage se retrouve régulièrement handicapé par un aspect factice, la faute à un emballage numérique disgracieux. Malgré les déclaration promo sur un tournage soi-disant « en dur », avec des dizaines de véritables décors et centaines d’accessoires, discours épuisant qu’on entend depuis plusieurs années, force est de constater que les nombreux effets numériques, souvent hideux, gâchent l’ensemble de Frankenstein – un comble pour le metteur en scène de Blade 2 et Pacific Rim.

« Tout ne fonctionne pas, mais Frankenstein contient de vrais morceaux
de bravoure, à commencer par la création du monstre. »

Et si le cabotinage d’Oscar Isaac fonctionne du feu de dieu face à la fragilité rugueuse d’Elordi en créature, difficile d’en dire autant du reste du casting. Mia Goth et Christoph Waltz en tête, dont le jeu tout en sous-régime n’aide pas des personnages manquant cruellement de substance. Absence de subtilité dans son traitement œdipien de la relation entre Victor et Elizabeth (jouée donc, également, par Goth), aspect balourd de sa thématique de l’humain plus monstrueux que la créature… Del Toro semble recycler les figures habituelles de son cinéma, de Hellboy à La forme de l’eau, créant un sentiment de déjà-vu bloquant toute surprise.

La créature de Del Toro

Frankenstein : une évidence à la hauteur de sa déception

Et pourtant ! Difficile de rester totalement de marbre face à cette adaptation d’une œuvre fondamentale pour un metteur en scène aussi majeur que Del Toro. Tout ne fonctionne pas, on l’a dit, mais Frankenstein contient pourtant de vrais morceaux de bravoure, à commencer par la création du monstre. Du choix des cadres au montage d’une précision d’horloger, ce mélange d’alchimie et de mécanique, où la quête de l’immortalité mène à la mort, sous une pluie orageuse, donnant l’impression que Victor affronte Dieu lui-même, offre la quintessence du cinéma du cinéaste oscarisé.

Et c’est ce qui résume assez bien ce Frankenstein : il est la dernière création d’un artiste à la cohérence totale depuis près de 30 ans. Harlander (personnage en partie créé pour l’occasion et joué par Christoph Waltz) nous rappelle De la Guardia dans Cronos, le conflit père fils renvoie à celui de Blade 2 ou de Hellboy 2, le corps déformé de Victor est semblable à celui de Marisa Paredes dans L’Echine du diable, les innombrables dessins de Victor donnent l’impression de provenir des carnets du metteur en scène… Et évidemment le monstre lui-même, immortel comme celui du film, qui ne cessera jamais de parcourir l’œuvre de Del Toro. Frankenstein est un assemblage de formes impressionnantes et de thèmes familiers. Il est touchant, laid, maximaliste, imparfait, déjà vu, beau, romantique, gothique, tragique : en somme, un monstre filmique.