C’est donc maintenant que débute la « Phase 2 ». Après le carton cosmique d’Avengers, qui couronnait une stratégie marketing audacieuse menée sur plusieurs années et cinq films, par le fraichement créé studio Marvel, Iron Man 3, qui est censé clore la trilogie consacrée à Tête de Fer, lance avec fracas une autoproclamée nouvelle « phase » pour la firme désormais milliardaire. En attendant que Joss Whedon remette la main à la pâte, chacun des super-héros a droit à une nouvelle itération. Iron Man ayant été le film déclencheur de cette vague haute en couleurs, quoi de plus normal de le voir ici lancer les hostilités, avec un opus qui était très attendu pour une simple et bonne raison : son réalisateur et co-scénariste n’est autre que Shane Black.

[quote_center] »Cet équilibre entre introspection et grand spectacle donne tout son sel à un film qui sait par ailleurs se faire très spectaculaire. »[/quote_center]À ce stade, chacun sait à nouveau qui est le mystérieux Black, connu des cinéphiles pour avoir défini sur le papier le ton, le look et l’esprit de la majorité des films d’action de notre enfance. L’arme fatale 1 et 2, Le dernier samaritain, Last action hero ou Au revoir, à jamais sont autant de jalons cultes des années 80 et 90, qui se démarquaient par leur approche très politiquement incorrecte du divertissement hollywoodien, et des codes immuables (omniprésence de la période de Noël, d’enfants à la langue bien pendue, de héros suicidaires, de violence très pulp et de répliques échevelées) qu’on a retrouvé des années plus tard, intacts, dans la première réalisation de l’ex-scénariste le mieux payé d’Hollywood, Kiss kiss bang bang. Un petit bijou dont la star était Robert Downey Jr. Devenu une star mondiale pouvant engranger 50 millions de dollars de cachet avec le seul Avengers, Downey Jr. a ramené Shane Black dans la lumière à l’occasion de cet Iron Man 3 portant indubitablement la marque de son co-auteur, décelable tout au long de ce qui est avant tout un blockbuster spectaculaire, mais lisse et avare en prise de risques.

C’est pas l’homme qui fait la machine…

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Traumatisé par sa guerre avec les Chitauri et son expérience de mort imminente dans Avengers, Tony Stark n’est plus, ou presque, le milliardaire flamboyant et sûr de lui qui étalait son ego avec gourmandise. Tony ne dort plus, il a des crises de panique, et a du mal à gérer sa relation avec Pepper Potts. Son passé vient bientôt frapper à la porte sous la forme d’une ancienne conquête et d’un ambitieux homme d’affaires, Aldrich Killian, tandis que partout en Amérique, des attentats attribués au terroriste appelé Le Mandarin créent la panique. Le gouvernement réplique en créant Iron Patriot, piloté par le colonel Rhodes, tandis que Stark, piqué au vif, lance imprudemment un défi au mystérieux terroriste. Mauvaise idée : jeté brutalement dans la bataille, Tony va devoir se dépouiller de ses gadgets et de sa protectrice armure pour triompher. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire…

 

L’approche thématique de ce troisième épisode, qui rompt avec les circonvolutions inutiles autour du SHIELD, les sous-intrigues artificielles et les séquences de remplissage de l’insipide Iron Man 2, se révèle contre toute attente très pertinente. À l’instar de The Dark Knight rises, le scénario s’attarde en priorité sur l’homme derrière l’armure, sur le fléchissement d’un personnage confronté à un dilemme inattendu : son obsession à améliorer encore et encore ses armures (la nouvelle combinaison, autonome et enfilable à distance, porte le numéro Mark 42, ce qui en dit long sur le nombre de prototypes créés) illustre son incapacité à exister en l’absence de cet « alter ego » mécanique. Alors que Tony joue dès les premières secondes du film le narrateur subjectif et amusé de l’histoire (autre constante made in Black), prolongeant volontiers l’atmosphère délicieusement cynique établie par la saga, il apparaît vite que le mythe Iron Man n’est plus synonyme d’exaltation adolescente, mais de doute existentiel. La lutte contre le Mandarin et ses hommes dopés au virus Extremis (l’un des arcs les plus fameux du comic book) va expulser pour un temps l’inattaquable Tony Stark hors de son « cocon » métallique. Manière implicite et très efficace pour Shane Black de signifier que c’est le personnage, plus que le super-héros, qui l’intéresse vraiment.

L’esprit de Noël

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Il n’échappera ainsi à personne que, tout aussi drôle qu’il soit, Iron Man 3 se veut aussi plus noir, plus déphasé en quelque sorte, à l’image des tribulations de Tony en plein Tennessee au cours du deuxième acte. Là, le super-héros en perte de pouvoirs (son fidèle ordinateur de bord est out, le SHIELD n’est plus de la partie) tombe sur un gamin, Haley, qui n’est pas moins doué en répartie que son aîné, et on croit alors assister à un remake enneigé de Last Action Hero. Et tant pis si la manœuvre scénaristique traduit quelque peu l’orientation infantile prise par une série qui risque de faire vendre beaucoup de jouets : à l’écran, c’est le moment du film qui s’avère le plus réjouissant, parce qu’il nous sort pour un temps de la spirale bien connue du méchant-complotant-contre-le-gouvernement-américain, et qu’il donne du relief à un héros menaçant à de nombreuses reprises de basculer dans l’auto-parodie fatigante. Cerise sur le gâteau, ce détour justifie même une séquence tout droit sortie de MacGyver, où Stark se bâtit tout un attirail d’armes absurdes (des boules de Noël explosives !) pour aller débusquer en mode ninja de la Cannon le fameux Mandarin.

 

Cet équilibre entre introspection et grand spectacle donne tout son sel à un film qui sait par ailleurs se faire très spectaculaire. Avec près de 200 millions de dollars de budget et plus d’une dizaine de compagnies impliquées dans les effets spéciaux, on pouvait s’attendre à quelques morceaux de bravoure pouvant concurrencer Avengers. Outre les pouvoirs « éblouissants » et destructeurs, du gang de mercenaires évoluant dans l’ombre du Mandarin (qui nous valent une réplique d’anthologie de Don Cheadle), on retient surtout son souffle durant deux scènes objectivement assez époustouflantes : un sauvetage en plein air à suspense, tout droit sorti d’un James Bond sous stéroïdes, et une bataille finale sur un cargo (comme dans L’arme fatale 2) éventée par le trailer, où la « Iron Legion » fait son apparition sur fond de feu d’artifice, de guirlandes de Noël et de duo Rhodes / Stark se lançant des vacheries comme en 1992. Puisqu’on vous dit qu’on est Shane Black.

Coquilles vides

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Malgré tout, bien évidemment, tout n’est pas rose au pays de Marvel. Outre le traitement polémique réservé au Mandarin, incarné par un Ben Kingsley qui semble s’amuser comme un fou, il sera difficile d’excuser les salves d’humour bien lourd qui plombaient déjà Iron Man 2 ou Thor, ainsi que les raccourcis scénaristiques, de l’autonomie de l’armure Mark 42 à (SPOILER EN APPROCHE) la guérison miraculeuse de Tony et Pepper (FIN DU SPOILER), qui permettent de dédramatiser l’intrigue et de préserver le happy end de rigueur. La multiplication des armures pose également un vrai souci d’implication du spectateur dans l’action, un problème de « coquille vide » : si le génie du bricolage qu’est Stark peut faire voler vingt « robots » à travers tout le pays sans avoir besoin de grimper dedans, pourquoi ne pas l’appeler Iron Men Commander in chief ? Où est le danger, où est le frisson quand tout n’est que subterfuge – à bien y réfléchir, c’est aussi l’un des thèmes majeurs de cet épisode – ? Pas de quoi bouder son plaisir, néanmoins : Iron Man 3 divertit en y mettant les formes, et tant pis si Robert Downey Jr. semble être en perpétuel one man show. Iron Man, comme il le dit lui-même et comme se plaît à le rappeler Shane Black en conclusion, c’est toujours lui.

 


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Iron Man 3, de Shane Black
2013 / USA-Chine / 131 minutes
Avec Robert Downey Jr., Guy Pearce, Don Cheadle
Sorti le 24 avril
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