La séance de rattrapage : Ne coupez pas !

par | 26 décembre 2019

Comédie zombiesque ultra-fauchée et hilarante, Ne coupez pas ! tire le meilleur de son concept en forme de déclaration d’amour au cinéma bis.

Illustration parfaite de l’adage voulant qu’au cinéma, une grande idée permet toujours de pallier au manque d’argent, Ne coupez pas ! a bénéficié d’une carrière en salles microscopique et météorique en France. Une petite injustice pour ce qui s’est révélé être l’une des plus enthousiasmantes comédies zombies depuis Shaun of the Dead, et l’un des micro-budgets conceptuels les plus stimulants depuis Le projet Blair Witch. Tourné d’ailleurs pour un prix sensiblement proche par le jeune réalisateur Shinichiro Ueda et les membres d’une école d’art dramatique de Tokyo, One cut of the dead (son titre international) n’aurait pas traversé les frontières de son pays, s’il n’avait connu un succès phénoménal au Japon – près de 2 millions d’entrées, pour un film diffusé à la base dans deux petites salles seulement.

La nuit du grand nanar

Difficile de ne pas comprendre en découvrant la bête les raisons de ce bouche-à-oreille plus que positif. Ne coupez pas !, sous ses allures de série Z disgracieuse (on est en plein dans le V-cinéma japonais, ces bandes bis tournées en vidéo à la chaîne pour le câble), est un petit miracle de récit en abyme, où la force des gags vient récompenser à rebours l’attention d’un public qui aura été stupéfait et/ou consterné par son imposant plan-séquence inaugural de 37 minutes.

« Ne coupez pas ! cumule les idées de génie avec une maîtrise parfois vraiment confondante. »

Ne coupez pas ! s’ouvre en effet sur une longue séquence unique, tremblotante, détaillant le tournage d’un film de zombies dans un entrepôt abandonné de la Seconde Guerre Mondiale, interrompu par une véritable invasion de morts-vivants. Une production fauchée, conçue pour être diffusée en direct à la télé et dans un unique plan-séquence justement… Le réalisateur est un sadique mal intentionné, le casting consiste en deux blancs-becs incapables de jouer correctement, la maquilleuse est obsédée par l’auto-défense… Longtemps, on ne sait sur quel pied danser en voyant se dérouler ce film dans le film fait de flottements inexplicables, de bidouillages face caméra qui ne trompent personne, d’équipe technique en déroute et de sorties de champs incompréhensibles. Bref, en plus d’avoir tous les attributs narratifs d’un nanar, Ne coupez pas ! semble, pendant plus d’une demi-heure tout de même, en être vraiment un, certifié irregardable par les esprits les moins patients.

Quand le contre-champ devient hilarant

Même s’il demeure inutile de spoiler outre-mesure l’heure suivante du film, la réputation de One Cut of the Dead le précède assez depuis sa découverte pour passer outre cette inconfortable ouverture. Le plan-séquence qui fait tant parler n’est que le jouet faussement imparfait, et d’une aberrante longueur, servant de détonateur à une avalanche de gags à même de vous faire crever de rire, en même temps que vous voudrez applaudir des deux mains pour saluer la manière dont ils ont été créés. A la fois satire sympathique du monde du show-business, où les budgets serrés sont proverbiaux et où l’ambition est enterrée sous des tonnes de compromissions, déclaration d’amour vibrante au cinéma de genre artisanal, où la débrouille et le dévouement à la création artistique justifient autant l’entraide collective que les sacrifices individuels, comédie non-sensique réinventant le plaisir intellectuel du champ expliqué par le contre-champ, Ne coupez pas ! cumule les idées de génie avec une maîtrise parfois vraiment confondante.

Le réalisateur n’en est qu’à son deuxième film, et le projet a tout d’un exercice de style confectionné certes avec soin mais dans des conditions primitives, et en mode tournage commando en équipe réduite. Il faut alors saluer autant le miracle que constitue le résultat de leur labeur que les talents de conteur kamikaze de Ueda, qui se permet de manipuler éhontément le spectateur en testant sa patience, avant de révéler le sens réel de ses images dans son troisième acte en forme de feu d’artifice comique et absurde (on ne soulignera jamais assez à quel point il était jouissif de découvrir ce film en salles, et de réagir collectivement, de la même manière, à ces gags). Et ce sans jamais perdre la mesure de ses personnages, artistes ratés ou perchés cherchant une forme d’accomplissement personnel dans un projet dérisoire. Pas mal pour un film tourné en huit jours avec 27 000 dollars, non ?