Le blues de Ma’ Rainey : le chant du cygne de Chadwick Boseman
Adaptation un brin rigide d’une pièce d’August Wilson, Le blues de Ma Rainey offre un dernier rôle en or de trompettiste ambitieux et tourmenté à Chadwick Boseman.
Nouvelle adaptation d’une pièce d’August Wilson, dramaturge américain auréolé de deux prix Pulitzer, Le blues de Ma Rainey est sur le papier la suite logique de Fences, film réalisé, produit et interprété par Denzel Washington, qui avait valu à sa partenaire Viola Davis (Murder, La couleur des sentiments) l’Oscar du meilleur second rôle en 2017. Le duo se reforme ici de manière différente, l’actrice étant à nouveau en haut de l’affiche et Washington restant producteur, mais l’intention est la même : porter à l’écran, sans détour et en respectant le texte d’origine, les mots de Wilson, chroniqueur incontournable de la condition des Afro-Américains au XXe siècle.
Mélodies en sous-sol
Le blues de Ma Rainey se déroule en 1927, alors que la musique noire du Sud, ce blues sensuel et entraînant popularisé par « Ma » Rainey (Davis, méconnaissable avec sa fat suit et ses dents en or), commence à intriguer les producteurs de musique blancs du nord du pays. La diva tapageuse et son quartet, où figure notamment un trompettiste ambitieux – et imaginaire – nommé Levee (Chadwick Boseman dans son dernier rôle), se rendent à Chicago pour enregistrer un album composé des plus grands succès de « Ma ». Pendant que ses musiciens répètent dans le sous-sol du studio et qu’un conflit de générations éclate lentement entre Levee, qui veut imposer ses propres improvisations de trompette, et ses partenaires, vétérans des tournées de la chanteuse, « Ma » traîne des pieds pour enregistrer les morceaux attendus. Elle sait, intérieurement, que son agent et ses producteurs ne lui donneront plus le respect qu’elle mérite à la seconde où ses chansons seront enregistrées sur vinyle. L’Histoire retiendra que peu après, son ex-protégée Bessie Smith deviendra à sa place la « reine du blues » et la relèguera dans l’oubli…
« Le film repose sur ses joutes verbales, qui prennent un tour philosophique, revendicatif, blagueur, rêveur
ou désespéré. »
Coincé dans un unique décor sur plusieurs niveaux, le temps d’une journée écrasée par la chaleur et rythmée par des conflits qui ne vont qu’en escaladant, Le blues de Ma Rainey ne peut faire oublier son origine théâtrale et ne cherche d’ailleurs pas à s’en détourner. Malgré les quelques apports de son réalisateur George C. Wolfe (issu de fait du monde théâtral) au script, comme cette séquence de concert inaugurale en rase campagne, le film repose entièrement sur ses joutes verbales, qui prennent alternativement un tour philosophique, revendicatif, blagueur, rêveur ou désespéré. Difficile, face à ce torrent de dialogues, de faire autrement que de faire confiance au talent de ses acteurs, quitte à donner le sentiment que le long-métrage sert de terrain d’expression pour comédiens en quête de performance déclamatoire. Si Davis, tout en attitude dédaigneuse et force tranquille, attire l’attention dès qu’elle apparaît à l’écran, c’est toutefois le regretté Boseman, en rupture d’univers Marvel et, on le sait maintenant, affaibli par une maladie qui l’emportera quelques jours après le tournage, qui laisse la plus forte impression.
C’est lui qui porte toute la charge revendicatrice, intemporelle, de la pièce, incarnant une jeune génération « libérée » à qui le rêve américain est promis, et qui malgré les compromissions et les blessures intérieures (« Ne me lancez pas sur les blancs ! » tonne-t-il dans un monologue dantesque), entend bien emporter sa part du gâteau sans plus attendre. Le comédien éclipse presque ses partenaires dans ce rôle qui aurait pu être crucial pour sa carrière. Sa performance, viscérale et sans filet, fait vibrer une production classieuse, mais trop statique, prisonnière de ses origines et qui donne malgré tout envie d’en savoir beaucoup plus sur la vie et le destin de sa chanteuse-titre, dont l’importance et la personnalité méritaient effectivement bien un film…