Le Survivant : la rédemption au bout des poings
Du destin de Harry Haft, déporté devenu boxeur aux USA, Barry Levinson tire un biopic classique porté par un Ben Foster exceptionnel.
C’est un fait entendu depuis le cinéma muet : peu de sports sont aussi adaptés au médium du cinéma que la boxe. On ne compte plus les œuvres ayant posé leurs caméras au milieu du ring, de Raging Bull à The Fighter en passant par les Rocky, pour y mettre en scène tout le registre des émotions humaines, en extirper tragédie, triomphe galvanisant ou passion dévorante. Tout y est clairement délimité, transparent : une fois encerclé par les cordes, le héros d’un film de boxe n’a d’autre choix que d’être confronté à ses certitudes comme à ses peurs. Harry Haft, héros du film Le Survivant, revit lui à chaque combat une partie de son sombre passé. Polonais d’origine juive, Herschel Haft de son vrai nom fait de la contrebande sous l’occupation nazie, mais est emprisonné en 1943 et finit dans le camp d’Auschwitz. C’est là que son destin se noue : même affamé et amaigri, il est choisi à cause de sa résistance par un officier SS pour mener des combats de boxe chaque week-end pour « divertir les gardes ». Au terme de chaque rencontre, le prisonnier vaincu est abattu. Haft va participer de force à 76 combats, avant de s’échapper lors de l’évacuation du camp en 1945.
De l’horreur nazie aux rings américains
Cette histoire douloureuse, Harry Haft, incarné par Ben Foster, la raconte après la guerre à un journaliste, à sa future femme, qui vient en aide aux rescapés des camps, puis à son fils, auteur de la biographie sur laquelle s’appuie le film de Barry Levinson. Le réalisateur de Good Morning Vietnam signe pour HBO cette adaptation qui prend le parti d’entremêler distinctement les deux périodes-clé de la vie du « survivant d’Auschwitz ». Alors que des flash-backs dans un noir & blanc charbonneux évoquant autant La liste de Schindler que le plus récent The Captain, reconstituent son quotidien dans le camp, la nouvelle vie de boxeur professionnel de Harry aux États-Unis, sa nouvelle terre d’accueil, est, elle, racontée en couleurs. La reconstitution classieuse du New York de la fin des années 40, avec ses salles de sport enfumées et ses week-ends bucoliques en bord de mer, tranche par son côté apprêté avec le calvaire du passé qui se rappelle à chaque combat à Harry. Celui qui boxait pour survivre un jour de plus, quitte à s’isoler de sa propre communauté, revit désormais sur le ring ce passé qui revient le sonner comme un uppercut. La boxe devait l’absoudre, lui permettre de dépasser sa situation post-traumatique : elle ne fait que l’enfermer dans un cercle vicieux autodestructeur.
« La prestation de Ben Foster est le véritable tour de force
d’un film juste et digne. »
Durant sa courte carrière professionnelle, Haft connaît presque autant de défaites que de victoires : son match face à la légende du noble art Rocky Marciano, que Levinson dépeint comme un véritable pugilat, est le tournant d’un film où un homme seul tente en vain de vaincre ses démons avant de faire un semblant de paix avec eux. C’est le dernier combat de Harry Haft et, en bon biopic déroulant de manière linéaire le parcours d’une vie (seuls les flash-backs reproduisent eux des épisodes dispersés, occultant partiellement certains parmi les plus importants comme la fuite de Harry ou son face-à-face avec l’officier SS qui l’a « entraîné »), il permet au Survivant de bâtir un dernier acte où la quête d’un ancien amour et la famille que se bâtit avec peine l’ancien combattant servent de carburant émotionnel très efficace – on vous met au défi de ne pas pleurer.
Une victoire de Ben Foster par KO
S’il pêche parfois par son académisme, Le Survivant possède aussi les qualités de ses défauts : cette histoire-là méritait d’être racontée sans trop d’artifices, d’être limpide dans ses effets, élégiaque dans sa musique (belle et inhabituelle partition de Hans Zimmer). Elle méritait aussi un acteur à la hauteur d’un personnage hors-normes. Et de côté-là, dominant un casting de grande qualité (de Vicky Krieps à un Danny de Vito en grande forme), Ben Foster est l’homme qu’il fallait. Le comédien à fleur de peau de Comancheria ou Leave no trace est bouleversant dans cette performance qui rappelle celles de De Niro ou Christian Bale. Aucun effet spécial n’a été nécessaire pour que le comédien incarne un prisonnier affamé puis un boxeur poids lourds. Méconnaissable en tous points, Foster s’est imposé un régime sec pour perdre puis reprendre 30 kilos. Il a puisé dans l’héritage de ses grands-parents, émigrés autrichiens ayant fui l’oppression, la motivation et la force de conviction nécessaires pour tenir le long-métrage à bout de bras (et de poings), avec un mélange de sensibilité mal dégrossie et de détresse dans le regard qui agrippe l’écran. Sa prestation est le véritable tour de force d’un film juste et digne, qui creuse patiemment les traumas d’un homme ambigu, faillible, ressorti transformé des ténèbres et luttant avec leur souvenir jusqu’à trouver l’apaisement tout au bout du tunnel.