Maestro : quand la musique est sage
Aguicheur mais compassé, parfois inspiré, mais souvent simplificateur, Maestro n’est pas la réussite attendue pour Bradley Cooper.
Il est souhaitable qu’on ne se souvienne pas de Maestro pour la déplorable polémique autour du nez prosthétique de Bradley Cooper (quoi, les acteurs se griment pour ressembler aux personnages qu’ils incarnent ? Misère !). Mais le nouveau long-métrage de l’acteur-réalisateur est-il vraiment mémorable ? Tout comme A star is born, Maestro chronique les hauts enivrants et les bas dépressifs d’un mariage passionné et dysfonctionnel, mais le fait cette fois sous l’angle du biopic déférent et arty, célébrant à parts égales l’union fusionnelle et destructrice entre le compositeur et chef d’orchestre Leonard Bernstein et sa femme Felica Montealegre, et le plaisir de composer et diriger de la « grande musique ».
A star is born again
Cooper a lourdement insisté dans son inévitable campagne pré-Oscars sur la préparation nécessaires pour incarner Bernstein. Enfoui sous un maquillage convaincant, le comédien disparaît en effet à l’écran pour incarner cette figure-clé de la musique classique au XXe siècle – et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il s’offre de multiples occasions de montrer les facettes de cette transformation, sur quarante ans de la vie du compositeur de West Side Story. Derrière la caméra, le cinéaste se montre formellement plus ambitieux que sur A star is born : il utilise l’artifice à la mode de la variation de formats et de l’alternance entre couleur et noir & blanc, sculpte avec son chef opérateur Matthew Libatique une multitude d’images expressionnistes, de transitions osées, de plans-séquences dramatiques ou musicaux, et au moins une séquence de pure comédie musicale rêvée, sur l’air d’Un jour à New-York. Tout est soigné, posé, réfléchi et occasionnellement, ça fonctionne.
« Ce récit d’une vie pourtant riche ressemble à un drame banal et conservateur. »
L’ouverture, par exemple, jongle en quelques plans et mouvements démonstratifs de caméra avec la chronologie pour communiquer le bouillonnement créatif d’un Bernstein alors à l’aube de sa prestigieuse carrière musicale, à l’Orchestre philharmonique de New-York. Quand Felicia se transforme en épouse d’une véritable célébrité, un simple plan l’engloutissant en coulisse sous l’ombre monstrueuse de son époux sur scène traduit sa condition. Plus tard, quand les non-dits autour de la bisexualité très active de Bernstein font chanceler leur mariage, un plan-séquence fixe cadré large isole Leonard et Felicia le temps d’un déballage acrimonieux dont aucun ne ressort indemne. Un autre moment de bravoure suivra, très commenté – Cooper aurait mis 6 ans à maîtriser la gestuelle du chef d’orchestre, dit-il – lorsque Bernstein dirige la Symphonie n° 2 de Mahler dans la cathédrale d’Ely. L’un des rares moments de Maestro où l’on voit le musicien à la baguette (même si la musique est partout dans la bande-son par ailleurs) et un contrepoint émotionnel évident pour montrer que l’amour de l’art constitue le ciment qui unit ce couple-star. L’Histoire retiendra qu’ils ont été enterrés, après une vie d’union, de séparations, de retrouvailles et d’infidélités, côte à côte.
Les péchés capitaux du biopic
Ces qualités, notables, évidentes, attendues avec une telle production de prestige (Scorsese et Spielberg, un temps pressentis sur le projet, sont producteurs exécutifs, excusez du peu), ne suffisent pas pour faire de Maestro un moment inoubliable. La faute à un script ripoliné à l’excès, si obsédé par l’idée d’éluder tout ce qui ne touche pas à l’amour de Bernstein pour sa femme et la musique que ce récit d’une vie pourtant riche ressemble à un drame banal – et conservateur. L’attirance de Leonard pour les hommes est, une fois de plus à Hollywood, assimilée sans peut-être le vouloir à une pulsion primitive qui le prive d’un véritable bonheur. Les amants de Bernstein ne sont que des silhouettes sans passé ni épaisseur dans Maestro, des obstacles au vrai accomplissement – une famille et des enfants aimants. L’activisme politique du couple, la révolution West Side Story, les histoires d’amour parallèles du compositeur, le concert au mur de Berlin : si le néophyte ne sait rien de ces moments-clés, le film ne fera rien pour l’instruire sur ces sujets.
Les biopics peuvent et se doivent d’être subjectifs et radicaux dans la façon dont ils retracent la vie de leur sujet – Blonde était l’année passée un bon exemple de ce précepte poussé jusque dans ses retranchements. Maestro aussi adopte des partis-pris tranchants dans son scénario, mais n’en retire pourtant qu’un maelstrom de passages obligés, de clichés du genre, qui ne peuvent être totalement sauvés par le métier de Carey Mulligan (condamné à jouer l’épouse trompée et renfrognée une scène après l’autre) ou une mise en scène cotonneuse. Les passages tire-larmes sur la maladie, fatale, de Felicia, ne sont que l’exemple le plus énervant de cette propension du film à utiliser de grosses ficelles dépassées, pour espérer être le grand film à Oscars rêvé par Cooper. L’inspiration est pourtant visible ici et là, l’envie de cinéma manifeste. Mais Maestro échoue à créer cette étincelle de magie que la musique qui l’a inspiré provoque, elle, chez tous les mélomanes.