Run Sweetheart Run : une nuit avec mon ennemi

par | 4 novembre 2022

Run Sweetheart Run : une nuit avec mon ennemi

Vendu comme un Get Out au féminin, Run Sweetheart Run tente un bizarre et peu convaincant mariage des genres.

La maison Blumhouse est décidément infatigable. Après avoir livré en deux ans huit productions à Prime Video pour Halloween, les fameux « Welcome to the Blumhouse » qui n’avaient malheureusement rien de mémorable, la firme de Jason Blum continue son histoire d’amour avec Amazon en lui réservant l’exclusivité de ce Run Sweetheart Run en attente de distribution depuis 2020. Emballé par la réalisatrice Shana Feste, spécialisée jusque-là dans les romances, ce thriller nocturne entend de prime abord disserter sur la menace que font en permanence peser les hommes sur les jeunes femmes vivant dans les grandes métropoles urbaines. Feste définit elle-même son long-métrage comme un « Get Out au féminin » et on voudrait bien la suivre sur ce terrain, si Run Sweetheart Run n’allait pas en fait courir sur des terres beaucoup plus nanardeuses une fois terminé son premier acte.

La cité des anges machos

Run Sweetheart Run : une nuit avec mon ennemi

Cherie (convaincante Ella Balinska, vue dans Charlie’s Angels) est une mère célibataire qui ronge son frein dans un cabinet d’avocats de Los Angeles, où elle végète comme secrétaire en espérant plus. Le jour où son boss a un conflit d’agenda, elle se voit contrainte de le remplacer pour un rendez-vous d’affaires en soirée, avec un potentiel nouveau client, le richissime Ethan (notre chouchou Pilou Asbaek, qui a gardé ses grimaces apprises sur Game of Thrones). En bon gentleman, le bourgeois en question l’emmène dans un grand restaurant, dans un roller park (sic) et ce blind date imprévu se termine chez Ethan… Qui brise d’un coup le quatrième mur et nous intime l’ordre de rester sur le pas de la porte. Cris, hurlements, bruits de pas… Et soudain Cherie rouvre la porte en sang et en pleurs, avant de s’enfuir dans la nuit. Cours, Cherie, cours !

« Une obsession assez nauséeuse pour le sang menstruel. »

Avec son cadre nocturne californien, électrique et dangereux, capté par la caméra du directeur photo Bartosz Nalazek, son unité de temps et son concept de fuite en avant presque cartoonesque (Ethan est increvable et pour une bonne raison), Run Sweetheart Run sait capter notre attention, malgré l’usage bizarre des regards caméra et freeze frames qui tombent comme un cheveu sur la soupe. Cherie est le prototype de la femme seule qui doit vivre constamment sur le qui-vive dès qu’elle met un pied dehors : à son travail, dans la rue, même dans les transports avec leurs foutus frotteurs, tout est anxiogène. Même la romance sexy promise un soir par le beau Ethan se transforme en piège fatal lorsqu’il se révèle être un psychopathe misogyne. Shana Feste aurait pu se contenter de tirer sur la pelote de cette ambiance stressante, pour broder en mode mineur un After Hours ou un Collateral en phase avec son époque.

Mais non. Est-ce parce que nous sommes chez Blumhouse ? Run Sweetheart Run se tire plusieurs balles dans le pied en sautant à pieds joints dans le fantastique et l’horreur quand la véritable nature d’Ethan est révélée. Reconnaissons au film une certaine audace, mais faute de grand budget ou sans doute aussi de séance de réécriture, ce virage grand-guignolesque tourne vite au ridicule. Outre une obsession assez nauséeuse pour le sang menstruel, le scénario multiplie les révélations et les personnages-éclair et finit par oublier d’être pertinent, trop occupé qu’il est à organiser un jeu du chat et de la souris sans intérêt ni subtilité. Quand l’aube finit par se lever, le propos initial de Run Sweetheart Run paraît bien loin, comme si les deux extrémités du film venaient d’un monde différent. C’est un grand écart, et celui-ci est plutôt douloureux.