Séance de rattrapage : Pearl
Alors que Ti West a clôturé sa trilogie « X » avec MaxXxine, on revient sur le deuxième opus, Pearl, portrait d’une tueuse en Technicolor !
Les périodes de quarantaine répétées liées au Covid n’ont pas été un calvaire pour tout le monde. Pas pour Ti West et Mia Goth en tout cas. Le réalisateur de The Innkeepers était en plein tournage de son slasher X quand la pandémie lui a imposé de s’enfermer avec son actrice principale, qui jouait le rôle de l’apprentie star du porno Maxine (future héroïne… de MaxXxine, sorti en salles cet été), mais aussi d’une vieillarde décharnée meurtrière et perverse, Pearl, sous des tonnes de maquillage. West et Goth ont concocté ensemble le scénario d’une préquelle imprévue, explorant la jeunesse de ce personnage mystérieux de psychopathe campagnarde, et tournée dans les mêmes décors que X. Les deux longs-métrages sont donc liés de manière organique. Mais là où X lorgnait ouvertement sur le cinéma de Tobe Hooper en particulier et les films d’exploitation des seventies en général, Pearl est une déclaration d’amour maniaque à l’Age d’or de Hollywood, aux mélodrames en Technicolor à la Douglas Sirk. Avec une bonne dose de sexualité déviante et de coups de hache en supplément, quand même.
Nous sommes en 1918, dans une ferme au milieu de nulle part au fin fond de l’Amérique. Alors que la Première Guerre mondiale touche à sa fin, Pearl (Mia Goth) ronge son frein en attendant le retour de son mari parti au front. La jeune femme vit encore chez ses parents, immigrés allemands (ce qui explique qu’ils vivent en retrait de la société) : la mère (incroyable Tandi Wright) est dominatrice et sans pitié avec sa fille, le père (Matthew Sunderland) est paralysé et devenu une forme de boulet pour sa famille. Pearl est obsédée par les films et opérettes qu’elle va voir en cachette lors de ses courses en ville, tombant même sous le charme du projectionniste local (David Corenswet). Persuadée d’avoir le talent nécessaire pour rejoindre ces danseuses qu’elle admire, elle rêve d’une vie meilleure et plus excitante loin de l’étable… Et elle fera tout pour parvenir à réaliser ce fantasme.
Folie à la ferme
Avec ses couleurs étincelantes et saturées, ses fondus à l’iris aussi kitsch que maîtrisés, sa bande originale grandiloquente, ses crédits placés en début de film, Pearl reproduit avec un soin maniaque, presque déstabilisant, la forme et l’esprit d’un cinéma disparu, mais immédiatement familier. West, on le sait depuis House of the Devil, est passé maître dans l’art de faire de sa cinéphilie la matière première de sa mise en scène, en dépassant le stade de l’exercice de style pour moderniser ces tropes qui l’obsèdent et leur donner une dimension subversive. C’est l’aspect le plus jouissif de Pearl, qui s’amuse à faire dérailler son esthétique surannée, tout en retenue théâtrale, à coups de dérapages liés à la folie de son héroïne. Pearl, incarnée par la frêle et téméraire Mia Goth, qui a trouvé dans cette trilogie les rôles d’une vie, pourrait n’être qu’une ingénue de plus déçue par son destin, une farm girl perdue dans ses rêves de gloire dans une Amérique faite de champs de maïs et de dimanches à l’église. Mais Pearl est surtout une graine de tueuse en série, obsédée par le sexe au point de se frotter à un épouvantail, et dont le meilleur ami est l’alligator qui habite l’étang voisin, qu’elle nourrit à coup d’animaux de ferme trucidés à la fourche.
« Mia Goth livre une performance
bigger than life difficile à oublier. »
Pearl a besoin d’amour, énormément, et en reçoit si peu que son esprit se ferme à toute forme d’empathie ou de compassion. Parce qu’elle n’a pas, comme un dialogue le souligne, le « facteur X » (vous aurez noté le clin d’œil), elle devient prisonnière de son esprit malade, confinée dans un monde figé – un mélo en Technicolor – dans lequel elle n’a pas sa place. Mia Goth s’avère parfaite pour déballer à l’écran cette schizophrénie malpolie, avec ses yeux écarquillés, sa voix volontiers stridente contredisant un doux visage rond de porcelaine. L’actrice anglaise, à qui son pygmalion de réalisateur offre un long (très long) monologue face caméra en guise de performance finale – sans parler d’un ultime plan absolument dingue d’intensité -, livre une performance bigger than life difficile à oublier. La cohérence de l’histoire – qui trouve sa résolution dans X, logiquement – est plus questionnable (pourquoi le mari de Pearl reste-t-il avec elle soixante ans durant, quand on voit comment le film se termine ?) et l’intrigue reste globalement assez sommaire. Mais là ne réside pas l’intérêt principal de Pearl, qui dans son concept et son exécution s’avère être une proposition unique en son genre, brillante dans les limites clairement établies de ses ambitions.