Séance de rattrapage : Universal Theory

par | 26 juin 2024 | À LA UNE, RATTRAPAGE

Séance de rattrapage : Universal Theory

À mi-chemin entre Lynch, Fritz Lang et Hitchcock, Universal Theory apporte une pierre unique en son genre au thème des univers parallèles.

Sorti discrètement en salles au beau milieu du mois de février — c’était de saison —, l’hivernal Universal Theory est sans doute passé sous le radar de beaucoup de curieux. Il y a pourtant maints plaisirs à prendre à cette coproduction germano-suisso-autrichienne qui reprend à son compte le thème si à la mode des multivers, décliné tantôt dans les films de super-héros ou dans l’oscarisé Everything Everywhere all at once. Primé dans de nombreux festivals, dont les Utopiales et l’Étrange Festival, le film de Timm Kroeger n’est certes pas facile d’accès, tant par le choix du noir et blanc (absolument splendide) que par son intrigue vaporeuse et cryptique, mêlant physique quantique, espionnage et surréalisme lynchien. Pourtant, le cocktail est particulièrement surprenant, mais maîtrisé de bout en bout et, pour peu qu’on se laisse envelopper dans ce monde hors du temps, pas loin d’être hypnotisant.

Mon multivers à la montagne

Séance de rattrapage : Universal Theory

Après un prologue situé dans les années 70, Universal Theory nous amène sur les hauteurs des Alpes suisses en 1962, au plus fort de la Guerre Froide. Jeune homme brillant, le doctorant Johannes Leinert (le fascinant Jan Bülow, qui ne jurerait pas dans un clip d’Anton Corbijn) se rend aux Grisons pour suivre avec son directeur de thèse la conférence donnée par un Iranien affirmant avoir résolu la théorie régissant les forces de l’univers. Mais l’événement tourne court. Leinert, sur le point de théoriser lui-même l’existence d’univers parallèles, est ballotté entre son sévère mentor, qui a collaboré avec les nazis, et le plus excentrique professeur Blumberg également invité. Le séjour prend une tournure définitivement plus étrange lorsqu’il rencontre une jeune pianiste (Olivia Ross) qu’il jurerait déjà connaître. Dehors, les disparitions se multiplient dans la montagne, des scientifiques sont retrouvés morts, le crâne ouvert, le ciel lui-même semble détraqué… Que se passe-t-il donc dans cette station alpine ?

«Universal Theory renvoie autant au David Lynch des années 80 qu’à la doublette Lang/Hitchcock, avec une rasade de Quatrième Dimension. »

Difficile, sincèrement, d’expliquer avec pragmatisme l’intrigue d’Universal Theory ou même de recoller de mémoire toutes les pièces du puzzle imaginé par Kroeger et son coscénariste. D’une densité insoupçonnée, et exigeant de la part du spectateur un lâcher-prise en même temps qu’un bon niveau de concentration, le script multiplie patiemment les nouvelles pistes narratives dans son décor haut perché et empile avec gourmandise références et révélations, sans que jamais l’édifice ne s’écroule vraiment – le fait que chaque plan ou presque soit une petite splendeur picturale ne gâche rien. Avec ses espions à chapeau jouant double jeu, ses circonvolutions spatio-temporelles et autres failles dimensionnelles, sa romance contrariée et in fine infiniment triste, et bien sûr son choix si évocateur du noir et blanc, Universal Theory renvoie autant au David Lynch des années 80 qu’à la doublette Lang/Hitchcock, avec une rasade de Quatrième Dimension pour faire bonne mesure. La station y est un microcosme dont les règles nous échappant, une sorte de piège quantique à ciel ouvert sur lequel se cognent les certitudes, les passions perdues de son héros.

C’est étrange, oui, nébuleux, souvent, mais le film ne se montre jamais pédant et prend soin de boucler son aventure en offrant ce qu’il faut de clés de compréhension à son spectateur. Autrement dit, Kroeger ne verse pas dans la bizarrerie gratuite, mais construit un univers à la fois cohérent et semblable à aucun autre – impression d’autant plus évidente que le film lui-même semble comme ses personnages sortis d’une autre époque. Laissez donc vos certitudes sur les secrets de l’univers au vestiaire et tentez le voyage !