Nommé plusieurs fois aux Oscars, Spotlight remporte, depuis plusieurs mois, les faveurs de la critique outre-Atlantique. Il faut dire que le film revient sur une affaire qui fait froid dans le dos, et qui a fait la Une des médias au début des années 2000. Aux États-Unis, le Boston Globe est un « journal local » d’une envergure qui n’a rien à voir avec les bureaux de Ouest-France à Vannes. Au sein de l’équipe du journal, « Spotlight » designe une branche spécialisée dans le journalisme d’investigation. Elle rassemble quatre reporters aguerris qui bénéficient, depuis les années 60, d’une grande liberté et qui ne sont pas soumis aux prérogatives des parutions du journal, ce qui leur permet de réaliser des enquêtes au long cours.
Séisme à Boston
Au début des années 2000, sous l’impulsion de leur nouveau rédacteur en chef, qui souhaite bousculer les habitudes enracinées du journal, cette équipe, composée de Walter Robinson (Michael Keaton), Mike Rezendes (Mark Ruffalo), Sacha Pfeiffer (Rachel McAdams) et Matt Carroll (Brian d’Arcy James) s’intéresse à une affaire d’abus d’enfants par des prêtres dans la ville très pieuse de Boston. Les journalistes découvrent que l’Église est non seulement au courant de ces abus depuis plusieurs décennies, mais qu’elle protège délibérément des centaines de prêtres pédophiles dans la ville. En recoupant les infos et en travaillant leurs sources, ils recueillent petit à petit des témoignages similaires venant de l’ensemble du pays.
L’équipe remonte la piste et parvient à établir une liste ahurissante de noms de prêtres ayant pu commettre commis de tels crimes sans que cela soit ébruité. En plus des dissimulations du clergé, ils vont découvrir également le silence embarrassant de plusieurs protagonistes de l’affaire… dont le journal lui-même. Dans cette désormais fameuse enquête, il apparaît que tous les cercles de Boston (politiques, religieux, financiers, judiciaires, médiatiques) ont eu vent, à un moment donné, de ces agissements, et se sont contentés, durant de longue années, de se plier aux manœuvres de l’archidiocèse. En mettant en lumière ce scandale (qui en a « appelé » bien d’autres au cours de la décennie), l’équipe de « Spotlight » a remporté un Prix Pulitzer mérité en 2002.
Rédactions sous les projecteurs
Thomas McCarthy est un quasi-inconnu chez nous. Enfant chéri du cinéma indépendant, avec des films comme The Station Agent et la comédie Les Winners, le réalisateur, qui est aussi comédien, s’est quelque peu fourvoyé l’an passé avec le DTV The Cobbler avec Adam Sandler. Pour Spotlight, beaucoup de réalisateurs auraient pris le parti de prendre un ton de thriller. Mais McCarthy, qui s’est pris de passion pour le sujet en rencontrant les véritables protagonistes de l’affaire, a préféré opter pour une reconstitution minutieuse du travail des investigateurs, quitte à emprunter un ton documentaire, sans effusion ou effets dramatiques artificiels. C’est bien là tout l’intérêt, mais aussi tout le drame de ce film intéressant sous bien des aspects. En reconstituant les faits, exactement là où se sont déroulés, en suivant pas à pas le déroulement de l’enquête, en explorant les arcanes de cabinets judiciaires ou de l’institution religieuse, il rend un vibrant hommage au travail exemplaire des journalistes de la presse papier. Dans une époque où le manque d’indépendance de la presse, la course au buzz et le sensationnalisme entachent la crédibilité, et menacent la survie même de la profession, cette reconstitution d’un passé pourtant pas si lointain fait mouche.
[quote_left] »Spotlight souffre toutefois d’une mise en scène d’une mollesse incroyable. »[/quote_left] En cela, Spotlight parvient à captiver l’audience, choquée, voire révulsée, par les révélations successives, autant qu’elle est passionnée par les méthodes efficaces des reporters. Une valeur ajoutée d’autant plus pertinente que le film est servi par une magnifique brochette de comédiens qui rendent justice aux véritables personnages : Michael Keaton (de retour en force depuis Birdman), Mark Ruffalo (excellent et intense, comme il l’était l’année dernière dans The Normal Heart), Rachel McAdams (qui après le relatif échec de sa saison de True Détective trouve un rôle plus à sa portée), Liev Schreiber (qui écope du rôle singulier d’un rédacteur en chef parachuté, et pourtant essentiel à l’affaire). Dans les salles de rédaction finement reconstituées, la caméra suit les reporters accrochés à leurs blocs-notes, le nez plongé dans des archives poussiéreuses, ou rivés devant des ordinateurs déjà démodés. Un doux sentiment de travail « à l’ancienne » témoigne de cette période, aux méthodes pas si révolues mais déjà charnière, alors que le format papier commence à lutter pour conserver son lectorat.
Seulement voilà, Spotlight souffre d’une mise en scène d’une mollesse incroyable. Nous aurions pu pardonner ce faux pas si McCarthy mettait en scène un long-métrage pour une chaîne de télévision comme HBO ou même un vrai documentaire. Certes, sa grande fluidité, la qualité générale de l’interprétation et le sérieux de l’entrepris rendent le visionnage agréable, instructif autant qu’éclairant. Et, dans la lignée des grands exemples du genre auxquels la production fait sans cesse référence, comme Les Hommes du Président, Spotlight peut passer pour indispensable, aux yeux de ceux qui se passionnent pour la question du journalisme d’investigation. Mais sur grand écran, le rythme pantouflard du scénario, la grammaire visuelle réduite à une succession de champs / contre-champs et de travellings latéraux, le côté pontifiant et absolu d’un script trop dogmatique pour étonner… Tout cela donne un peu la sensation d’avoir enfilé des charentaises au lieu d’une bonne paire de baskets.
[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]L’un des articles du Boston Globe sur cette affaire.[/toggle_content]
Crédits photos : Open Road Films
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Spotlight
De Tom McCarthy
2016 / États-Unis / 128 minutes
Avec Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams
Sortie le 27 janvier 2016
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