Stopmotion : un cauchemar aussi dérangeant que fascinant

Drame horrifique et familial sur fond de création artistique, Stopmotion chronique avec une vraie maîtrise la descente aux enfers d’une jeune réalisatrice.
Remarqué dans les festivals de genre, Stopmotion a trouvé le chemin d’une distribution en France via la plateforme Shadowz, qui en fait le titre de lancement de son foisonnant marathon d’Halloween annuel. Stopmotion est donc le premier long-métrage du Britannique Robert Morgan, jusque-là surtout connu pour ses courts-métrages animés. Porté par une Aisling Franciosi (The Nightingale, The Fall) saisissante, le film s’impose comme un mélange réussi de drame familial, d’horreur psychologique et de scènes volontairement malsaines, où l’animation image par image devient un personnage à part entière.
Dès les premières minutes, Stopmotion plonge dans un malaise profond. On y suit Ella, une jeune artiste contrainte d’aider sa mère, figure écrasante et star reconnue de l’animation en stop motion (ou image par image en bon français) qui tente de trouver sa propre voie/voix… tout en continuant dans le même domaine. L’ironie est mordante : Ella veut se libérer d’un carcan tout en enfilant les mêmes chaînes, et elle en est consciente puisqu’elle dit rapidement ne pas avoir de voix. Petit à petit, l’animation se fait de plus en plus présente, envahissante, brouille les repères et questionne le téléspectateur sur ce qu’il voit réellement. Délire psychotique ou bascule dans un autre monde ? Rien n’est jamais tout à fait clair et c’est toute la force de Stopmotion.
L’amour de l’art… jusqu’à la folie

L’ambiance est rapidement étouffante, et la mise en scène installe un climat poisseux qui ne laissera plus jamais le spectateur s’échapper. Chaque détail, du design sonore aux éléments visuels volontairement dérangeants, participe à cette immersion dans la psyché fracturée d’Ella. Le spectateur oscille constamment entre empathie et dégoût pour ce personnage à la fois victime de son entourage et potentiellement bourreau d’un univers qu’elle semble façonner à son image. Un parti pris narratif pas forcément novateur sur le papier, mais ici poussé à un tel degré de maîtrise qu’il en devient fascinant.
« Stopmotion n’est pas seulement un film d’horreur psychologique : c’est un cri déformé poétique et cruel sur la création, la filiation, la folie. »
Robert Morgan ne se contente pas de se servir du stop motion, art dans lequel il excelle lui-même, comme d’un simple exercice de style. Ici, l’animation image par image chère au studio Aardman n’est pas là pour « faire joli », mais constitue bien un pilier narratif. Elle évolue, se déforme, contamine peu à peu le réel et devient le miroir des tourments d’Ella. À travers le personnage d’une jeune voisine étrange, Ella prend même le temps d’expliquer les bases de cet art et on sent un véritable amour de Robert Morgan pour cette technique artisanale.
Une performance d’une rare intensité

Visuellement justement, Stopmotion est d’une inventivité constante : chaque image suinte l’angoisse et le dérèglement mental et l’animation parvient à être à la fois grotesque et dérangeante, sans jamais tomber dans la parodie d’elle-même. Cette immersion est d’autant plus efficace que la performance d’Aisling Franciosi est d’une qualité et d’une intensité rare. L’actrice, tour à tour vulnérable, inquiétante ou hallucinée, est ici à la hauteur du défi. Elle parvient à rendre cette descente aux enfers psychique crédible sans jamais sombrer dans la caricature. Face à elle, Stella Gonet (Spencer, 28 ans plus tard) incarne une mère aussi froide que glaçante et Tom York (Poldark) dans le rôle du petit ami d’Ella apporte un contrepoint intéressant, bien que son personnage comme d’autres intrigues secondaires semble parfois un peu superflu. C’est peut-être là le seul bémol du film : certains éléments narratifs et sous-intrigues donnent l’impression d’avoir été ajoutés pour étoffer artificiellement un récit qui n’en avait pas besoin. Peut-être Robert Morgan, habitué jusque-là au format court, a-t-il eu peur de ne pas donner assez pour son premier long-métrage.
Reste que l’ensemble est solidement pensé, la tension est constante et l’évolution d’Ella parfaitement maîtrisée. Chaque visionnage semble révéler de nouveaux indices disséminés dès les premières scènes, jusqu’à une fin cohérente et qui ne tombe pas dans le piège habituel de vouloir en faire trop. Stopmotion n’est donc pas seulement un film d’horreur psychologique ou une lettre d’amour au stop-motion artisanal : c’est un cri déformé poétique et cruel sur la création, la filiation, la folie. Une œuvre dense et maîtrisée, surtout pour un premier long, qui parvient à conjuguer expérimentation formelle et émotion brute. Un film à voir et à revoir, assurément.