The Nocebo Effect : une amie qui vous veut du mal
Eva Green vit un cauchemar dans l’étouffant et mystique The Nocebo Effect, suspense horrifique au sous-texte politique féroce.
Tout le monde ou presque connaît le principe de l’effet placebo : un traitement « fantôme » administré à un patient qui améliore malgré tout son état de santé. Comme tout effet positif, le placebo a son pendant négatif, moins connu : le nocebo. Une notion au cœur du nouveau film de Lorcan Finnegan, réalisateur remarqué peu de temps avant le Covid avec son très conceptuel premier long-métrage Vivarium, où Jesse Eisenberg et Imogen Poots expérimentaient le cauchemar de la vie pavillonnaire. Avec The Nocebo Effect, le cinéaste revient à une forme de narration plus « évidente », mais pas moins hallucinée, faisant cette fois subir le martyre à la pauvre Eva Green (récemment à l’affiche de la série Liaison), dans une fable horrifique et politique aux accents cronenbergiens.
Eva Green incarne Christine, une styliste de mode pour enfants qui pendant un défilé reçoit un coup de fil qui la bouleverse. Elle a aussi une vision d’un chien galeux couvert de tiques qui n’est pas une complète hallucination, puisque l’une d’entre elles la pique dans la nuque. Huit mois plus tard, malgré le soutien de son mari (Mark Strong) et sa petite fille, Christine est au bord du gouffre : les pertes de mémoire, paralysies partielles et vertiges s’enchaînent, elle dort sous respirateur… Un mal étrange l’afflige comme on dirait au XIXe et c’est à ce moment que le destin sonne à sa porte. Diana (fascinante Chai Fonacier), jeune Philippine, se présente avec insistance comme la nounou / femme de ménage qu’elle a embauché. « Vous devez me faire confiance », implore-t-elle. Christine accepte de laisser la jeune femme s’installer dans sa vaste maison. Peu à peu, Diana s’impose dans le quotidien de la famille, et utilise les remèdes ancestraux de son pays pour guérir Christine…
Les fantômes de la mondialisation
C’est en faisant leurs recherches sur l’effet nocebo que Finnegan et Garret Shanley ont investi le folklore philippin, devenu central dans le chemin de croix que traverse Christine. Fébrile, tantôt rayonnante, tantôt enlaidie, Eva Green passe ici par tous les états, avec conviction, pour incarner cette mère de famille aisée avec laquelle il est au départ facile d’entrer en empathie. De notre point de vue occidental, Diana reste elle une présence étrange, ambiguë. Mais les spectateurs aguerris auront tôt fait de supposer que sa venue n’est pas fortuite et qu’elle cache des intentions pas très reluisantes. The Nocebo Effect fonctionne comme un mystère à rebours, dévoilant à coups de flash-backs désordonnés dans le temps le passé de Diana dans son pays, en même temps que le quotidien de Christine, son mari réticent et sa fille méfiante, se délite. Finnegan tient le pari de maintenir longtemps l’ambiguïté sur les pratiques « exotiques » de cette impénétrable petite femme, dont la dévotion paraît trop appuyée, dont les histoires de guérison paraissent trop mystiques (le pays n’est pas le même, mais certains passages évoquent le récent The Medium).
« Le réalisateur avait à cœur de dénoncer « l’exploitation néo-coloniale »
à l’œuvre dans nos sociétés de consommation.
Le message est clairement passé. »
Dans ce choc des cultures en vase clos, notre sympathie va donc vers la Londonienne mise au supplice, victime d’hallucinations terrifiantes dont l’une, kafkaïenne, la met aux prises dans son lit avec une tique gigantesque (créée, comme la plupart des effets spéciaux, « en dur »). Mais, c’est là où le film se montre malin, à mesure que la personnalité de Diana s’éclaircit, le scénario nous force à revoir nos priorités. Les scènes de la vie professionnelle de Christine ne sont pas innocentes, et tout ce qui lui arrive a un sens, préfigurant une résolution brutale. Le réalisateur avait à cœur de dénoncer « l’exploitation néo-coloniale » à l’œuvre dans nos sociétés de consommation, détachées de tout scrupule lorsqu’il s’agit de faire trimer les pays en voie de développement à leur place. Autant dire que le message est clairement passé. Difficile en revanche de prétendre que ces révélations à double détente sont imprévisibles, au contraire. Mais Finnegan les met en scène avec la manière, multipliant les artifices visuels (grands angles, doubles focales, travellings circulaires, inserts fugaces, photo atmosphérique) pour signifier l’irruption du surnaturel et de la magie dans une réalité cartésienne. Jusqu’à ce que la boucle soit impitoyablement bouclée. De façon positive ou négative : cela dépendra, comme le titre, de votre point de vue.