Il y a parfois des claques qui se perdent. Soucieux de promouvoir comme il se doit un petit film acquis chèrement au lendemain d’une projection en festival couronnée de succès, la mini-major Lionsgate s’est gratté la tête pendant presque deux ans avant de finalement trouver une date de sortie définitive. Une longue hésitation qui aurait pu ruiner l’enthousiasme né justement dans les festivals, où You’re Next continuait de faire parler de lui.

C’est que le film d’Adam Wingard (aux commandes de la brouillonne franchise V/H/S et également auteur du très remarqué A horrible way to die) est un spécimen pas comme les autres : sous l’apparence d’un énième avatar d’un sous-genre surchargé, le home invasion, se cache surtout un slasher bien plus malin et efficace que la moyenne, au sound design particulièrement soigné et délaissant les mises à mort abracadabrantesques des Saw au profit d’une approche plus old school, mixant sans arrière-pensée frissons premier degré et hécatombe grand-guignolesque. Un véritable tour de montagnes russes non dénué d’ironie mais exempt de tout cynisme, comme à l’époque du tout premier Scream. Il est d’ailleurs permis de penser que You’re Next est ce qui est arrivé de mieux au genre depuis le film de Wes Craven. Rien de moins.

Une famille en sursis

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La première et réjouissante originalité du film, scénarisé par son fidèle complice Simon Barrett, est de ne pas rassembler pour de brumeuses raisons au même endroit une énième brochette de post-ados en chaleur, mais une famille, crédible et riche d’interactions. Les parents Davison sont retraités, aisés et amoureux de leur « cottage » récemment acquis, et en profitent donc pour inviter lors de leur anniversaire de mariage l’intégralité de la famille, soit trois fils et une fille, tous en couples plus ou moins bien assortis. L’unité de lieu, de temps et de personnages est prestement installée pour ce qui va être, on le sait, une nuit infernale, la maison voisine ayant été déjà « visitée » par trois inquiétantes figures masquées, provoquant l’angoisse de leurs prochaines victimes en inscrivant avec du sang les mots « you’re next » sur les murs. Un exposition prétexte à un prologue qui nous plonge certes en terrain connu (une fille à moitié nue, une maison la nuit, une caméra subjective…), mais qui manifeste déjà une grosse confiance en soi, la bande-son instaurant un jeu très tarantinesque avec une chanson entêtante du Dwight Twilley Band.

[quote_left] »Un slasher bien plus malin et efficace que la moyenne… »[/quote_left]L’empathie avec les personnages de You’re Next, plus ou moins plaisants ou sympathiques, est décuplée par les rapports filiaux qu’ils entretiennent. Dès que le repas de famille dégénère en stand de tir à l’arbalète (l’occasion d’une séquence hystérique caméra à l’épaule qui tranche quelque peu avec le style plutôt élégant du film), Wingard s’assure que chaque disparition soit graphiquement et émotionnellement douloureuse : aucun des protagonistes n’est ici un policier en patrouille ou un voisin malchanceux. Que son rôle soit brutalement écourté ou amplement approfondi, chaque membre de la famille Davison possède une personnalité et une épaisseur que l’on ne croise que trop rarement. Un équilibre créé grâce à une direction d’acteurs naturaliste et un casting hétérogène qui fait se mélanger jeunes pousses prometteuses, acteurs amateurs, vieilles gloires en plein come-back (Barbara « Ré-animator » Crampton qui n’avait plus tourné depuis dix ans !) et même une flopée de réalisateurs amis de Wingard et Barrett (Ti West, Larry Fessenden et le pape du mumblecore Joe Swanberg dans le rôle très attachant du grand frère, Drake). Le duo connait de fait assez bien le genre pour savoir qu’il tient là un angle d’attaque relativement novateur : rapidement entamées à l’heure du repas, les disputes fraternelles (chacun des trois frères se dispute d’une manière ou autre l’attention de leurs parents, de riches entrepreneurs) se poursuivent ainsi même après les premiers cadavres, le décalage entre ces chamailleries dérisoires et l’horreur absolue de la situation créant une sorte de distance comique, qui nous rappelle que nous ne sommes à la fois ni dans Funny Games, ni dans Scream 4.

Taillée pour survivre 

You’re next : famille à tuer

Ce jeu sur les conventions implique en contrepartie de ne pas être trop regardant sur les invraisemblances et raccourcis narratifs amplement déployés pour faire arriver un personnage d’un point A au point B. Le sommet étant par exemple atteint avec un personnage déconseillant formellement de se cacher au sous-sol (« parce qu’il n’y a pas d’issue ») avant d’y aller avec entrain une demi-heure plus tard ! De même, l’arrivée des tueurs portant des masques d’animaux, pour aussi terrifiante qu’elle soit, se justifie par un twist logique, crédible, mais un peu facile, tournant même au ridicule assumé dans la toute dernière ligne droite. C’est là aussi une ficelle usée typique de n’importe quel slasher : il y a toujours un prétexte, même stupide, à chaque tuerie.

Finalement, et c’est le plus important, ces scories peuvent être totalement mises de côté une fois dévoilée la botte secrète de You’re Next : la fausse ingénue Erin, nouvelle petite amie du frère cadet Crispian, et grain de sable dangereusement létal dans la petite machinerie sadique imaginée par nos trois tueurs. Pour des raisons explicitées lors d’un savoureux dialogue d’exposition, Erin est parfaitement « armée » pour répondre à l’agressivité de ces étrangers adeptes de l’arme blanche. La belle mais farouche étudiante met du cœur à l’ouvrage, et des clous sur les planches, pour s’imposer comme la Sidney Prescott du nouveau siècle, à tel point qu’on ne serait pas étonné qu’une franchise se développe autour de son personnage. Ce serait une récompense méritée pour son énergique et charismatique interprète Sharni Vinson, dont le physique et la carrière font beaucoup penser à Briana Evigan (elles ont toutes les deux été révélées par la très sportive saga Sexy Dance avant de se tourner vers le cinéma de genre). C’est aussi à travers le côté radical, surprenant et très gore de son personnage que le film bâtit sa singularité et son équilibre entre premier degré frontal et humour sardonique. Une recette trop rare qui fait de You’re Next une série B précieuse, à déguster comme il se doit en groupe… et en salles (merci Lionsgate).


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You’re Next, d’Adam Wingard
USA / 2011 / 95 minutes
Avec Sharni Vinson, AJ Bowen, Joe Swanberg
Sortie le 28 août
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