Nous ne comptons plus, depuis soixante ans, les films consacrés à l’Occupation nazie dans toute l’Europe. Plus rares sont les œuvres, telles La liste de Schindler, s’attachant à décrire le quotidien des Allemands eux-mêmes, témoins parfois impuissants de la mainmise d’un régime dictatorial sur leur propre pays, et tout aussi « occupés » que les pays conquis. Ce parti-pris est celui de La voleuse de livres, roman australien de Markus Zusak qui a été un véritable best-seller à sa sortie en 2005, et s’est démarqué pour de nombreuses raisons. L’histoire est en effet racontée par un narrateur peu ordinaire : la Mort elle-même, aussi cynique et détachée qu’on puisse l’imaginer. Sa présence place l’emblée le livre sous le sceau du conte moral, le cadre historique (l’Allemagne des années 30, puis 40) servant un propos qui se veut universel et, contrairement à ce qu’un tel sujet laisserait penser, largement positif et plein d’espoir.
Guerre et apprentissage
[quote_right] »Cette énervante et illogique manie de faire parler les personnages tantôt en allemand, tantôt en anglais, parfois au sein d’une même phrase ! »[/quote_right]L’adaptation qu’en font le scénariste Michael Petroni et le réalisateur Brian Percival (récompensé aux Emmys pour son travail sur Dowton Abbey), s’avère très largement fidèle au livre de Zusak, suivant dès son plan inaugural la trajectoire Liesel Meminger, fillette placée par sa mère dans une famille d’accueil dans le village imaginaire de Molching (près de Dachau, comme on l’apprend bientôt). Seule et déracinée, Liesel trouve un certain réconfort auprès de son père d’adoption, Hans Hubermann, un vétéran de la Première Guerre Mondiale adepte de l’accordéon (celui-ci a une signification particulière pour lui), et d’un nouvel ami, son voisin Rudy Steiner, garçonnet athlétique à la blondeur angélique. Elle apprend petit à petit à lire, volant si besoin des livres pour satisfaire sa passion naissante pour les mots. L’ombre du parti Nazi ne tarde toutefois pas à assombrir ce tableau déjà fragile : à leur insu, les enfants sont partie prenante de la propagande hitlérienne, les restrictions s’accumulent… Bientôt, la famille Hubermann se met en danger en accueillant secrètement un boxeur juif, Max, fils d’un compagnon de tranchée de Hans. La guerre éclate, menaçant chaque jour un peu plus le quotidien de Liesel et des siens. La Mort, elle, observe…
Le tournage de La voleuse de livres, co-production germano-américaine, s’est effectué en grande partie dans les studios de Babelsberg, et ça se voit. La rue principale du village, la rustique mais spatieuse maison des Hubermann : tout sent l’artificiel, le contre-plaqué, mais paradoxalement, cela nuit peu à l’imagerie du film, qui s’autorise dès le départ une certaine liberté de ton et d’ambiance. La dite rue porte tout de même le nom de Heaven Street ! Notre héroïne Liesel, pour laquelle la guerre est synonyme d’apprentissage (de l’amitié, de l’entraide, de la mort et plus important encore pour elle, de la lecture) pose ainsi un regard plein de candeur et de simplicité enfantine sur les horreurs et les injustices qui l’entourent, et qui réduisent parfois le film, de manière assez étonnante, à une dimension de drame gentillet et inoffensif, se gardant bien de trop choquer mais jamais d’émouvoir. De la guerre et de l’Holocauste, le spectateur ne perçoit que des échos lointains, comme une marche de Juifs en pleine rue, le bref recrutement forcé de Hans, ou les bombardements, aussi arbitraires qu’impersonnels. La voleuse de livres ne partage pas les ambitions d’un Empire du Soleil, entre autres exemples : il ne s’agit pas de confronter frontalement l’enfance à l’horreur et d’en observer les conséquences, malgré ce que le prologue voudrait nous faire croire, mais de chercher au milieu du malheur toutes les raisons qui font que l’espoir demeure. Les privations et l’embrigadement ont beau se multiplier, l’histoire ne se centre que sur Liesel et ses amis Rudy et Max, ses mésaventures au pays des livres, son amour pour Hans et la pas-si-bourrue Rosa. Le scénario impose une frontière claire, limpide et assez naïve du conflit : il y a des victimes innocentes d’un côté, et des bourreaux sans visage et sans compassion de l’autre. La Mort et l’enfant, en quelque sorte.
Un casting adéquat
Ce manque de grandeur, qui empêche au final La voleuse de livres d’être plus qu’une « belle histoire », n’empêche pas le film de Brian Percival d’être techniquement abouti, même si légèrement trop long pour ne pas accuser de sévères baisse de rythme. Le réalisateur s’offre quelques beaux moments de poésie tragique (le bombardement du village), mais se garde d’imposer une quelconque patte d’auteur sur une production assez impersonnelle, traversée de choix narratifs assez hasardeux. Pour n’en citer qu’un, citons notamment cette énervante et illogique manie de faire parler les personnages tantôt en allemand, tantôt en anglais, parfois au sein d’une même phrase, au point qu’on se croirait parfois dans une vision dystopique d’une Angleterre occupée !
Question casting, Percival a eu la main heureuse, en obtenant de Geoffrey Rush et Emily Waston deux excellentes performances de plus à mettre à leur palmarès, dans un registre qu’ils maîtrisent sur le bout des doigts. Révélation du film Monsieur Lazhar, la jeune Sophie Nélisse et ses grands yeux tout ronds se révèle tout aussi méritante dans le rôle central de Liesel. Si son visage manque un peu de la gravité nécessaire pour faire ressentir toutes les émotions contradictoires qui s’invitent dans son esprit, son jeu sobre et enthousiaste à la fois permet à un film qui repose en grande partie sur elle, de ne pas sombrer dans l’académisme le plus larmoyant. Un danger qui menace littéralement le film à chaque minute…
[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
La Voleuse de livres (The Book Thief)
De Brian Percival
USA-Allemagne / 2013 / 131 minutes
Avec Sophie Nélisse, Geoffrey Rush, Emily Watson
Sortie le 5 février 2014
[/styled_box]