Les années 2000 n’auront pas été tendres avec David Fincher, passé de jeune prodige au début de carrière foudroyant à celui d’auteur contrarié, réalisateur de trois films seulement en dix ans dont seul l’un (Zodiac) aura véritablement marqué les esprits. Un peu comme Del Toro, Fincher est devenu pendant un temps l’homme à qui l’on prêtait mille projets, comme l’adaptation de Rendez-vous avec Rama, et dont aucun ne parvenait à se concrétiser. Son acrobatique, culotté et renversant Social Network a semble-t-il changé pour de bon la donne. S’il ne parvient encore pas à faire décoller ses projets personnels (son 20 000 lieues sous les mers, pas forcément englouti mais au point mort, sa nouvelle collaboration avec Aaron Sorkin sur un – déjà deuxième – biopic de Steve Jobs), Fincher est revenu prouver avec Millenium et la série House of Cards, dont il est producteur exécutif – il a également réalisé le pilote et le deuxième épisode -, qu’il avait peu d’équivalents sérieux dès lors que l’on parlait de thriller.
Un couple mal sous tous rapports
Ce qui tombe plutôt bien pour la 20th Century Fox, détenteur des droits d’un des derniers best-sellers adultes de la littérature anglo-saxonne, Gone Girl (Les apparences chez nous). La romancière Gillian Flynn, propulsée en 2012 dans le hit-parade d’à peu près toutes les critiques littéraires, a décidé de se charger elle-même de l’adaptation cinématographique de son roman, à la fois critique de la société américaine, chronique d’un mariage « vidé de tout amour », suspense paranoïaque et satire ultra-contemporaine de la dérive des médias. Comme dans un bon feuilleton scandinave, Gone Girl débute par une disparition, celle d’Amy Dunn, qui a quitté New York avec son mari Nick, journaliste, pour s’installer dans le Missouri. Sous leurs apparences de petits bourgeois bien sous tous rapports, Nick et Amy forment en fait un couple pour le moins contrarié. Les petits secrets révélés petit à petit par la presse transforment bientôt Nick en suspect clamant son innocence. Il va mener son enquête de son côté, sans que l’on sache vraiment s’il est bien, ou non, innocent du crime dont on l’accuse…
Dans un choix de casting inspiré, et pas que commercialement, David Fincher a confié le rôle de Nick à Ben Affleck. Le futur Batman paraît taillé sur mesure pour incarner cet homme plutôt aisé mais tombé en disgrâce, qui doit afficher un sourire de façade alors que son horizon s’assombrit de toutes parts, et que ses mensonges viennent le rattraper par le col. Sa femme, incarnée par la blonde Rosamund Pike (Jack Reacher), n’a rien d’un ange non plus. C’est ce qui confère d’ailleurs tout son intérêt au roman de Flynn, qui change de braquet à mi-parcours pour désarçonner son lectorat. Pour exciter les nombreux lecteurs qui connaissent déjà l’issue de ce whodunit, la romancière a annoncé avoir modifié la fin de l’histoire pour les besoins du film de Fincher.
[quote_right] »Fincher n’a rien perdu de son talent pour installer une ambiance anxiogène en quelques plans. »[/quote_right]Alors que sa sortie n’est prévue qu’à l’automne, la Fox a déjà révélé un premier poster à l’image de celui de Social Network : singulier (on y distingue une réplique de bas d’écran de chaîne d’info), mystérieux, voire étrangement poétique… Comme le révèle le premier excellent trailer, rythmé dans un magnifique effet de contraste par la très belle chanson d’Elvis Costello, « She », Fincher n’a rien perdu de son talent pour installer une ambiance anxiogène en quelques plans, et laisser parler ses images plutôt qu’en révéler trop sur une intrigue pleine d’opacité. Le réalisateur a fait à nouveau confiance à son équipe technique habituelle, dont le duo de compositeurs Trent Reznor et Atticus Ross, qui devrait contribuer fortement à la réussite (ou pas) du film. Gone Girl sortira chez nous le 15 octobre prochain.