Ayant atteint depuis longtemps sa plénitude, le BIFFF 2014 se déroule cette année dans l’enceinte magnifique du Palais des Beaux-Arts. Le festival demeure toujours, pour sa 32e année, ce rendez-vous ultime en Europe où se mêlent joyeusement de la compétition, avec comme plus haute distinction le mythique Corbeau d’or, des rencontres et des tables rondes avec des artistes du cinéma, des animations théâtrales, du cosplay et, pour la première fois, un marché de coproduction de films de genre entre l’Amérique du Nord et l’Europe, le projet « Frontières ».

[quote_right] »Grand vainqueur ex-aequo : Goal of the Dead et Cheap Thrills. »[/quote_right]Pour la partie cinéma proprement dite, répartie en quatre sections (Compétition internationale, Compétition Européenne, 7e Orbite et Thriller) avec en sus un focus sur le cinéma Indien, ce ne sont pas moins de 110 longs métrages qui sont proposés cette année, nonobstant quelques séances spéciales Hammer à la cinémathèque de Bruxelles. Sur place, nous découvrons depuis ce week-end des films de plus en plus éclectiques : wu-xia chinois, comédie noire californienne, slasher québécois, portnawak indien, jusqu’aux derniers rejetons du torture-porn en passant par les adaptations de manga. De ce copieux menu, qui fait la part belle aux premiers films, voici pour le premier week-end passé dans la capitale des Belges (avec le regret d’avoir raté la projection de The Raid 2…) un petit aperçu des bonnes et moyennes surprises révélées sur les écrans du Bozar !

Inutile de revenir sur Cheap Thrills et sur le bien que nous pensons du film. Il est indéniablement, à l’applaudimètre, celui qui a le mieux fonctionné auprès du public. Ce dernier réagissant avec intensité au terrible crescendo horrifico-comique qui définit ce film noir d’un nouveau genre. Grand vainqueur ex-aequo : Goal of the Dead (la critique ne saurait tarder), point d’orgue de la nuit blanche gore, défendu par un Benjamin Rocher heureux de découvrir la bonne ambiance du lieu et servi, côté promotion, par un match de foot, zombies versus journalistes, qui a presque converti votre serviteur aux vertus du sport collectif. Il reste dans ce programme très varié quelques nouveautés parfois déroutantes sur lesquelles nous pouvons deviser sans problème.


Aura : un dôme version hongroise

En direct du Bifff : un ange déchu, des girondes et un sherlock chinois

Aura part d’un postulat similaire au Dôme de Stephen King : une bande de jeunes voyageant en voiture se trouvent coincés sous une bulle ne laissant pas passer la lumière. Le réalisateur hongrois Zsolt Bernáth (In the name of Sherlock Holmes) réussit à surprendre son public. Le début semble pourtant emprunter les voies faciles du huis clos, avec une ambiance nocturne plus que prenante. Un humour orienté teenagers américains un peu hors de propos et des comédiens approximatifs parasitent le début du film. Le métrage prend enfin une autre dimension avec un retournement de situation bienvenu qui fleure bon le cinoche des années 80 (il n’est pas interdit de penser à Super 8) avec son orientation SF. Une ultime faute de goût dans une scène finale bien foirée (et un scénario tournant court) vient gâcher notre plaisir. Dommage, car cette intéressante bande venue de l’Est change des productions hermétiques auxquelles nous étions habitués.


Dark Blood : les adieux de River Phoenix

En direct du Bifff : un ange déchu, des girondes et un sherlock chinois

Film maudit, projet inachevé après la mort par overdose de son comédien principal, River Phoenix, décédé le 31 octobre 1993 à Los Angeles, Dark Blood de George Sluizer (L’Homme qui voulait savoir et son remake La Disparue avec Jeff Bridges) a été projeté dans une version certes incomplète, mais se rapprochant le plus de la vision de son auteur. Il ne restait que douze jours de tournage au moment du drame, le métrage étant en grande partie tourné. George Sluizer, malgré une forme physique précaire suite à une rupture d’anévrisme en 2008, a comblé les scènes manquantes par des plans fixes avec sa voix pour illustrer l’action. Cette opération produit une œuvre certes bancale, mais visuellement superbe et par là même accomplie.

Dark Blood s’avère être un ultime hommage à celui que l’on présentait comme le James Dean des années 90, River Phoenix (Explorer, Stand by Me, My Own Private Idaho). Dark Blood ne présente pas comme le couronnement de la carrière d’un comédien qui s’affirmait comme étant un des plus prometteurs de sa génération, celle qui vit éclore les talents de ses amis Keanu Reeves et Johnny Depp. Le film se pare d’un écrin classieux pour illustrer la dernière prestation de celui qui restera à jamais un des anges déchus les renommées de Hollywood.

Incarnant un métis indien du nom de Boy, venant à l’aide d’un couple égaré dans le désert de l’Arizona, au cœur de la réserve Hopi, River Phoenix arbore un look qui l’éloigne de son apparence de Californien typique avec ses cheveux couleur « ailes de corbeau ». Il incarne, avec justesse, un personnage ambigu qui passe allègrement de la bonhomie à un registre plus inquiétant. Jeune veuf vivant en ermite, il se trouve confronté à un couple des plus typiques dans l’imaginaire hollywoodien, à savoir le cabot has been (incarné par un Jonathan Pryce impeccable) accompagné de sa femme frustrée et accessoirement ex-playmate (Judy Davis, qui a joué à la diva sur le tournage, dixit George Sluizer). Un couple en pleine crise existentielle et dont la rencontre avec Boy sera le détonateur d’émotions longtemps refoulées.

Entre le film noir à ambiance, la réflexion sur l’influence désastreuse de l’homme blanc sur le monde indien, l’ode à la nature et la recherche de la spiritualité, Dark Blood navigue sans vraiment de point d’ancrage, mais ne se révèle pas être le pensum un temps redouté. Magnifié par la photo d’Ed Lachman, servi par une bande-son atmosphérique de Florencia Di Concilio, le film de Georges Sluizer tient plus du mélodrame au final. Mais il flirte, par le biais de son atmosphère avec cette vague des néopolars qui a défini une partie des années 80 et 90. Une vague traversée par l’influence de Tony Hillerman et de Jim Harrison, au croisement d’un Kill Me Again pour le meilleur, et d’un Revenge pour le moins bon ! Si le film demeure visiblement amputé (il y manque cruellement les scènes de sexe qui auraient été la continuation logique des passions érotiques qui commencent à s’échauffer), Dark Blood rend au final un bel hommage à celui dont le talent ne commençait qu’à poindre et à marquer durablement Hollywood (n’avait-il pas incarné Indiana Jones jeune dans le 3e épisode ?) et qui se trouva emporté par les écueils d’une célébrité trop soudaine et destructrice.


LFO, The Movie : mon voisin, ce psychopathe

En direct du Bifff : un ange déchu, des girondes et un sherlock chinois

LFO (acronyme de Low Frequency Oscillation) est l’exemple parfait de la petite production de SF à petit budget qui, partant d’un sujet bateau, réussit à toucher juste, et ce grâce à un scénario imparable et une interprétation mémorable. Production suédoise tournée à l’économie, avec une action prenant place dans un unique appartement, le second long-métrage d’Antonio Tublen entre dans la case des films très inspirés des situations fantastiques à la manière de Twilight Zone qui sont de plus en plus en vogue dans les festivals ces dernières années (comme Aura ou I’ll Follow You Down pour cette édition).

Mais là où les autres ont beaucoup de mal à sortir de leur pitch d’origine pour offrir une proposition de cinéma différente, LFO s’affranchit vite de son carcan avec un point de vue assez gonflé qui suit de près les expérimentations de Robert (Patrik Karlson parfait dans son allure de bon citoyen faussement inoffensif). Celui-ci va découvrir comment manipuler, via des ondes, la psyché humaine et utilise comme cobayes ses voisins Linn et Simon. Cette comédie satirique assume à fond son parti-pris cynique, qui n’en amoindrit pas pour autant la part dramatique. Dans cette atmosphère scandinave évoquant à la fois Ingmar Bergman et Lars von Trier, LFO évite le danger de la répétition des situations. La mise en scène alerte et un sens du cadrage évitent la trop grande réitération de gros plans qui auraient rendu l’ensemble poussif. LFO tire indéniablement son épingle du jeu grâce à son comédien principal et à son interprétation : Patrik Karlson réussit à conserver une certaine ambiguïté en parfait manipulateur prêt à tout pour assouvir ses besoins mégalomaniaques, en même temps conscient de l’inanité de sa situation. Là où le bât blesse pour ce petit budget au propos intéressant, c’est dans sa conclusion décevante. Les ultimes péripéties ressemblent plus à une série de gags qu’à une tentative de questionnements sur la manipulation des masses ou la relation maître/esclave évoquées en filigrane dans le récit. Malgré les défauts de son film, Antonio Tublen a largement gagné ses galons de réalisateur à suivre.


Pinup Dolls on Ice : bimbos en détresse

En direct du Bifff : un ange déchu, des girondes et un sherlock chinois

Diffusé dans la fameuse séance « Night » du week-end au Bifff, coincé entre Goal of the Dead, Zombie TV et Hatchet III, le slasher québécois Pinup Dolls on Ice (tourné en langue anglaise) ne se démarque pas de la vague classique du revival du neo-slasher qui encombre les rayons des DTV ou triomphe grâce à l’expansion de la VOD. Le film de Geoff Klein et Melissa Mira (comédienne aussi à l’écran) convient parfaitement au cadre de la nuit, avec son public réagissant au quart de tour à l’étalage de gore et de nudité proposé. Les deux auteurs de Pinup Dolls on Ice semblent conscients d’avoir livré un scénario plus que léger, prétexte à un défoulement jouissif et correctement réalisé avec peu de moyens. Suite de Bikini Girls on Ice concocté par la même équipe, Pinup Dolls on Ice est le parfait film à voir entre potes pour se repaître des poncifs du genre, tous enfilés comme des perles. Il met en scène une troupe de filles girondes adeptes du burlesque qui se retrouvent traquées par un boogeyman indestructible dans un motel perdu au fond des bois ! Ouf !

Il manque une certaine matière dans le scénario (sans rire !) pour pouvoir s’intéresser aux personnages, qui vont, tout le monde le sait, finir par se faire dessouder à l’écran. L’originalité dans les meurtres qui se succèdent n’est pas de mise : certaines séquences de mises à mort filmées hors-champs s’avèrent d’ailleurs frustrantes. Heureusement, ce spectacle sans ambition contente quand même grâce à un casting de jeunes révélations canadiennes qui allie de manière consciencieuse charme et comédie (le modèle américain Suzi Lorraine est la seule tête connue au casting). Nous pouvons donc espérer voir d’ici quelques années un troisième volet de cette série des …on Ice avec un peu plus d’inventivité cette fois-ci.


Les aventures extraordinaires d’un apprenti détective : l’aventure fait naufrage

En direct du Bifff : un ange déchu, des girondes et un sherlock chinois

Place à l’aventure aussi pendant le Bifff, avec la diffusion de The Adventurer : the curse of the Midas Box, déjà présenté à Sitges en 2013 et sorti il y a peu en France sous le titre de Les Aventures extraordinaires d’un apprenti détective (saluons l’intelligence de nos agents du marketing hexagonal qui tente de rappeler à la fois Besson et le revival Sherlock Holmes…). Production anglo-catalane, cette adaptation du premier opus de la saga des Mariah Mundi, romans d’aventures pour la jeunesse, réalisé par Jonathan Newman s’avère être un ratage quasi complet. Lorgnant vers le style du Secret de la Pyramide, The Adventurer : the curse of the Midas Box ressemble plus à une production télévisuelle qu’à un véritable film destiné au grand écran.

Réalisation terne et sans éclat, péripéties éculées avec des rebondissements anticipables par le spectateur le moins averti (sauf un ultime rebondissement final, mais qui est juste prétexte à amorcer une potentielle suite), un design artistique déjà vu dans nombre de productions de style victoriennes, rien ne réussit à relever la sauce bien fade d’un spectacle qui pourtant promettait bien mieux. Le seul et maigre motif de contentement pourrait se résumer aux partitions de Michael Sheen et de Sam Neill qui, entourant un casting pourtant solide où l’on croise Aneurin Bernard (Citadel) ou Lena Headey (Dredd, Game of Thrones) semblent être les seuls à s’être amusés à incarner des archétypes romanesques avec l’emphase adéquate. Mais le manque de personnalité de la réalisation annule en quelques plans les tentatives des comédiens de se sortir d’une aventure bien bavarde.


Voir le programme complet du Bifff 2014