Signe que notre addiction aux écrans à atteint un point pathologique, le cinéma de genre s’attaque depuis plusieurs années aux nouvelles technologies pour transformer nos objets informatiques du quotidien en engins terrifiants, ou tout du moins menaçants lorsqu’ils sont détournés de leurs usages initiaux. Et logiquement, quoi de mieux pour faire naître cette peur que de plonger littéralement dans ces écrans, de la première à la dernière minute de métrage ? De la mode du found footage, nous sommes donc en train de passer à celle du live footage : certaines séquelles de Paranormal Activity ont par exemple utilisé les discussions via Skype pour produire des frissons à peu de frais. Plusieurs courts-métrages lui ont emboîté le pas de manière très conceptuelle, et plusieurs films à venir, comme Cybernatural (ou Unfriended) ou Ratter, présenté ces jours-ci à Sundance, se déroulent presque entièrement via des écrans d’ordinateurs portables et de smartphones.
[quote_center] »C’est un faux pas rageant pour Nacho Vigalondo. »[/quote_center]
Il ne serait donc pas inutile de parler d’Open Windows comme d’un film représentatif de son époque : malgré son casting relativement clinquant, le nouveau long-métrage de Nacho Vigalondo, génial réalisateur espagnol des excellents Timecrimes et Extraterrestre (toujours pas sorti chez nous, cette honte !), peut se résumer à une expérimentation visuelle et rythmique qui essuie les plâtres d’un style qu’elle essaie, à l’aide de quelques bonnes idées, de faire naître. Car, au concept du montage constitué de plusieurs sources vidéo rassemblées sur un seul et même écran d’ordinateur, Open Windows ajoute une difficulté en optant pour l’action en temps réel, quitte à faire tomber son histoire dans des précipices vraiment surréalistes.
Hacker ou voyeur ?
Open Windows se base sur un postulat étrangement familier, hitchcockien dirons-nous : ici, Nick (Elijah Wood) un geek un peu vieux garçon, et naïf webmaster d’un site de fan, se fait poser un lapin par son actrice favorite, Jill Goddard (Sasha Grey), avec qui il avait « gagné » un rendez-vous. Depuis sa chambre d’hôtel, Nick comprend qu’il peut voir, dans l’immeuble d’en face, la dite star de cinéma, grâce à l’aide d’un mystérieux internaute nommé Chord, qui se fait passer pour son manager. Faute de réaliser son rêve, Nick se laisse aller au fantasme du voyeur, Chord envoyant sur son écran de multiples liens permettant de pirater le téléphone de Jill, d’accéder aux caméras de vidéosurveillance de l’immeuble… Clairement, Nick est en train de se faire gentiment mener en bateau, mais à quelle fin ?
La perspective de voir l’ami Frodo et ses yeux écarquillés dans une sorte de one-man show angoissant, concrétisant toutes nos conceptions paranoïaques de l’Internet (qui se résumerait ainsi à un joujou permettant à n’importe quel maniaque technoïde d’envahir nos vies privées) se révèle dans un premier temps réjouissante : sur la simple base d’une mise en scène se résumant à une caméra dézoomant puis rezoomant sur des fenêtres et onglets s’ouvrant dans tous les coins de l’écran, Nacho Vigalondo bâtit un suspense rythmé et original, questionnant notre tendance au voyeurisme avec une perversité qui rappelle le Brian de Palma de Body Double (est-ce un hasard si l’actrice de films X Sasha Grey joue ici une star piégée et forcée de se déshabiller devant l’écran ?). Les enjeux du récit ne volent pas bien haut, mais le soin apporté au design général de cette « interface filmique » pas très réaliste (mais qui s’en soucierait ?) ainsi que le casting plutôt bien vu de Wood en fan reclus et aussi simplet qu’un bossu parisien font passer un bon moment, et parviendraient presque à nous convaincre de la légitimité d’une aussi fébrile entreprise.
L’ordi magique
Las, les premiers bugs ne tardent pas à montrer le bout de leur nez, dès lors que le scénario se risque à être beaucoup plus ambitieux : le portable, qu’on imagine tout de même encombrant, de Nick se met à voyager comme s’il s’agissait d’une Go Pro, à tournoyer et à survivre à tous les chocs possibles. En quittant son lieu unique pour s’essayer au thriller trépidant à la 24 heures chrono, reniant comme la série son esthétique initiale en split-screens comme pour mieux montrer l’improbabilité de son concept, Open Windows finit par se tirer une, puis dix balles dans le pied. À la folie doucement conceptuelle de son pitch informatique, le réalisateur, grand adepte du mélange des genres, substitue la fièvre des rebondissements et des twists stupides – en plus d’être complètement injustifiables en termes de narration. Ainsi, ce ne sont pas une, mais deux poursuites en voiture qui sont insérées tant bien que mal dans le film, et la révélation de l’identité du méchant Chord en bout de course vaut son pesant de cacahouètes avariées.
Faute de pouvoir trouver des moyens satisfaisants de relancer l’intérêt pour son histoire passé l’effet de surprise d’un montage reposant sur une simple suite de mouvements latéraux et de zooms abrupts, Vigalondo n’a, on le voit très bien une fois qu’un psycho-killer au look « cuir et fermeture éclair » très années 90, plus d’autre choix que de tomber dans le bis et l’embarras le plus total. Pour une première coproduction avec l’Amérique (en attendant sa participation au troisième V/H/S), c’est un faux pas rageant pour l’Espagnol. Seule consolation, le film permet de confirmer si besoin était l’appétit vorace du producteur-acteur Elijah Wood pour les films de genre tordus et hautement conceptuels, après le « first person slasher » Maniac et le mélomane Grand Piano, et en attendant le (paraît-il) délirant Cooties.
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Open Windows
De Nacho Vigalondo
2014 / USA – Espagne / 100 minutes
Avec Elijah Wood, Sasha Grey, Neil Maskell
Sortie le 7 janvier 2015 en DVD et Blu-ray (Wild Side)
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