C’est à un véritable retour aux sources que le réalisateur du Sixième Sens nous convie le 7 octobre, en se retournant vers le genre qui l’a fait connaître : l’angoisse. The Visit, né d’un réveil anesthésié de M. Night Shyamalan suite à une opération du genou, s’avère effectivement plus humble que ces précédents opus (des brillants Incassable et Le Village, aux plus honteux Phénomènes ou After Earth). Produit par la firme Blumhouse, absolument omniprésente dans cette année 2015, le long-métrage, qualifié par son réalisateur de « petit film », a été financé sur le nom de Shyamalan, et tourné dans sa Pennsylvanie natale. Sans doute échaudé par son expérience malheureuse avec la famille Smith, le metteur en scène a gardé une totale liberté artistique sur son montage, une liberté qui lui a peut-être permis de retrouver une créativité qui se tarissait sérieusement ces dernières années.
The Visit raconte le séjour de deux enfants dans la ferme de leurs grands-parents. En raison d’une violente dispute entre leur mère et ces derniers, cette rencontre est inédite pour Becca et Tyler, qui ignorent totalement où ils mettent les pieds. Le film révèle deux tous jeunes acteurs australiens épatants, Olivia DeJonge et Ed Oxenbould, placés sous la houlette maternelle de Kathryn Hahn et inquiétante de Peter McRobbie. Tourné à la manière d’un faux documentaire (ou plutôt d’un found footage pour reprendre le terme à la mode), The Visit s’avère être impeccablement monté et dirigé, en plus de disposer d’un twist simple mais efficace. Surtout, il prouve pour une fois que rire et horreur font parfaitement bon ménage dans le cinéma de Shyamalan.
Le 1er septembre dernier, M. Night Shyamalan était en France pour présenter son film. Lors de son unique rencontre avec le public, à Paris, il s’est prêté de bon cœur au jeu des questions-réponses.
Avez-vous des soucis avec vos grands-parents ? Plus sérieusement, vous êtes-vous inspiré de votre propre histoire pour écrire The Visit ?
(rires) Ce film m’a permis d’aborder plusieurs thématiques. The Visit parle de la peur de vieillir et de mourir. Cette peur se manifeste par à la fois le dégoût et le rire. L’autre sujet du film est le pardon. Dans ma famille indienne, il y a beaucoup d’incompréhensions, car nous avons le sang chaud. Il y a toujours quelqu’un pour dire théâtralement « Sors de ma maison tout de suite ! » et se fâcher pendant des années. Enfin, l’histoire d’une amie à moi m’a inspiré. Elle a deux enfants et du jour au lendemain son mari est parti. Les petits, comme dans le film, grandissaient sans connaître leur père et savoir où il se trouvait.
Vous avez tourné ce film, comme les précédents, près de Philadelphie ?
Il existe peu de lieux qui m’inspirent et la Pennsylvanie, où j’ai grandi, en fait partie. Je souhaitais en utilisant un lieu familier éliminer les éléments superflus et me focaliser sur les personnages. La ferme utilisée pour le tournage ressemble beaucoup à chez moi, d’ailleurs elle se trouve à vingt minutes de chez moi, ce qui était pratique ! (rires)
Pourquoi avoir tourné à la manière d’un documentaire ?
J’avais envie d’utiliser ce style depuis longtemps. Mon personnage veut réaliser un documentaire sur les retrouvailles familiales, et le procédé se justifiait du coup tout à fait. Cette manière de tourner à la première personne, comme dans un found footage, mais plus beau (sourire), cette caméra à l’épaule, sert d’outil pour un réalisateur pour ajouter du piment à ses scènes. Mon objectif était d’obtenir un résultat équilibré, de tirer parti de cette technique sans en faire trop non plus. J’adore les documentaires et j’ai demandé à travailler avec une directrice de la photo documentariste, Maryse Alberti, qui a donné son style au film.
Quelles sont vos influences ?
Mes premières émotions au cinéma, je les dois à Steven Spielberg et Georges Lucas. J’avais l’âge parfait pour que leurs films paraissent faits rien que pour moi. Mes influences formelles, en terme de style, tiennent en quatre réalisateurs, quatre grands maîtres : Kubrick, Kurosawa, Hitchcock et Satyajit Ray.
Est-ce que vous croyez aux fantômes et aux démons ?
Je ne suis pas complètement sûr de cela. J’étais récemment à Sydney et une dame s’est approchée de moi et m’a dit « Moi aussi, je suis comme vous, je vois des fantômes ! » (rires). Donc, non, peut-être pas de cette manière ! J’ai une grande maison, qui craque dans tous les coins, et malheureusement je n’ai pas jamais rien vu dedans ! En revanche, je crois aux énergies et par exemple, j’ai senti que toute l’énergie que j’ai mise dans ce film pouvait me revenir, dans la façon dont les spectateurs le vivent à leur tour.
Combien d’enfants avez-vous testés avant de trouver les deux comédiens ?
Avec mon équipe nous avons dû rencontrer au moins 2 000 enfants. Lorsqu’on fait passer des auditions à des comédiens, on se dit qu’on est vraiment le pire dialoguiste du monde ! Tout sonne faux ! Et puis tout d’un coup, un acteur vous livre exactement ce que vous souhaitez entendre. Olivia DeJonge et Ed Oxenbould viennent tous les deux d’Australie, ils ont d’ailleurs pris un accent américain pour les besoins du film. Ed a un cheveu sur la langue. Nous avons écrit les raps pour l’audition, il avait peur de rapper. Poussé par son père, il a accepté juste une fois. Incroyablement. C’est un enfant qui adore être sur scène, se montrer, attirer l’attention, exactement comme celui du film. Lorsqu’on a tourné la scène du rap finale, qui est particulièrement longue, il a eu du mal à trouver le ton juste. J’ai vu qu’il commençait à se fermer, à s’énerver et même à bégayer. Quand un acteur a des difficultés, le réalisateur doit bien le connaître pour l’aider. J’ai simplement tourné mon moniteur qui me servait à voir l’image, et tout d’un coup, il s’est vu et il a adoré cela. D’ailleurs, nous voulions dans le film qu’il s’admire, qu’il se recoiffe et se pavane !
Dans tous vos films, il y a toujours une musique originale, généralement composée par James Newton Howard. Mais pas dans celui-ci, pourquoi ?
La musique a un pouvoir tellement fort. On peut tourner une scène où il ne se passe rien de spécial, mais ajoutez la musique, et vous pouvez faire passer la colère, la tristesse, la joie, toute une palette d’émotions. Elle fait aussi une grande partie du travail pour le spectateur. Plus le spectateur s’implique et plus je suis satisfait. Quand il n’y a pas de musique pour vous guider, vous ne savez pas si vous êtes dans une scène de tension, un moment détendu, ce qui vous rend plus à l’écoute. J’ai donc refusé les services de mon James pour ce film. De grands films, comme L’Exorciste et Les Oiseaux ne glissent que quelques notes, quelques secondes de musique, et cela suffit pour vous marquer, même si on a la sensation qu’il y en a eu du début à la fin. Mais pour moi, c’était un pari risqué, car vous pouviez au bout d’un moment vous fatiguer de cette incertitude, ne plus être dans le film. Mes quatre derniers films font tous 107 minutes. The Visit fait 95 minutes : j’ai dû changer de rythme interne sur ce film. Je n’avais pas la musique de James pour me sauver ! (rires)
Quelle est la scène qui a été la plus difficile à tourner dans votre carrière ?
Ah, il y en a beaucoup. Mais celle à laquelle je pense maintenant, c’est dans Incassable, quand Bruce Willis doit porter sa femme endormie depuis son salon, jusqu’à son lit. Ce geste ne doit lui procurer aucun effort, car il est doté de superpouvoirs : il doit rester fluide et léger, sa femme doit être filmée à ce moment de manière à la fois romantique et réaliste. Ce plan était tellement compliqué à éclairer et à jouer pour Bruce, qu’il nous a fallu 11 heures pour le finaliser.
Crédits photos : © Universal Pictures France