Detention : méta, vous avez dit méta ?

Déjanté, irritant, jouissif, exigeant : Detention, avec son mélange de slasher, de SF et de teen movie, est un concentré culte de paradoxes et de références.
Le deuxième film de Joseph Kahn, clipmaker d’élite devenu réalisateur de cinéma avec un sous-Fast & Furious complètement autre (Torque, la route s’enflamme), n’a été diffusé en France sur grand écran que le temps d’une avant-première mémorable durant la première édition du PIFFF. Un rare coup de projecteur pour Detention, définition même du film culte sorti dans une relative indifférence au début des années 2010 alors qu’il préfigurait à sa manière une ère marquée par un déficit d’attention généralisé, un cynisme cool et une tendance au recyclage jusqu’à la nausée des grands marqueurs de la culture populaire. Detention est un ride effréné catapultant sur l’écran tout ce qui est passé par la tête de son scénariste-cinéaste, frustré de ne pouvoir mettre en images ses obsessions et ses envies de cinéma au sein des studios. Et autant dire que son cerveau a tendance à surchauffer. Detention évoque pêle-mêle John Hugues, Donnie Darko, Steven Seagal, Retour vers le futur, Hanson, La Mouche, Gregg Arraki, Public Enemy, Freaky Friday, Wes Craven, Patrick Swayze, Les lois de l’attraction ou Sex Academy… et tout ça parfois au sein d’une même scène.
Detention a été financé de manière totalement indépendante, tourné en quatrième vitesse avec une poignée d’acteurs qui montent et une équipe technique débutante. À ce niveau de DIY, le résultat final laisse pantois, tant Kahn refuse obstinément de se faciliter la tâche : son méta-slasher éructe plus d’idées à la seconde que tous les scripts d’Ehren Krueger réunis. Avertissement aux allergiques de la référence : Detention, c’est un peu comme si les Scream avaient été écrits par un geek sous Tranxène qui s’autoriserait tous les pétages de plombs et les sorties de route possible, quitte à jeter dans le fossé ses spectateurs les moins endurants.
Massacre au Breakfast Club

L’histoire est sur le papier trompeuse de simplicité : comme n’importe quel slasher de la fin des années 90, l’action se déroule dans un campus yankee où le Popular de Nada Surf fait office de charte éducative. Un quatuor de héros attachants et tête-à-claques, réservoir d’amours contrariées, de cool attitude et de pop culture post-Youtube et Wikipedia, est confronté à un serial-killer surnommé Cinderhella, du nom d’une franchise fictive de torture porn bas du front qui en rappelle méchamment une autre (indice : on y parle de viande grillée et de sous-vêtements). Face aux jeunes victimes qui s’accumulent, le proviseur décide de mettre tous les fauteurs de trouble en détention (en colle, dirait-on chez nous. Mais le dit-on encore ?) pour que le coupable se démasque. Mauvaise idée.
« Detention prend un malin plaisir à nous faire entrer dans une danse infernale, avec un empilement d’idées digne d’un enfant hyperactif. »
D’un tel mélange entre la saga de Wes Craven, l’inusable-même-si-bien-usé univers du teen movie et Breakfast Club, on pourrait déjà tirer une série B futée à défaut d’être immortelle. Le grain de sable, c’est Kahn lui-même, qui avait déjà dynamité à coups d’idées over the top un projet à la base complètement beauf (Torque, donc), pervertissant par sa suspension d’incrédulité le principe d’un spectacle décérébrant mais jamais stimulant. Detention, au contraire, prend un malin plaisir à faire entrer son spectateur consentant dans une danse infernale, un mix coloré tapissé de clins d’œil dialogués, costumés, musicaux ou thématiques à toute une sous-culture, principalement logée dans les années 90. Un empilement d’idées digne d’un enfant hyperactif qui frise parfois l’indigestion pure et simple, comme lors de cette scène de double conversation cryptée dans un bowling, où l’effet de « branchitude » recherché finit par s’annuler du fait du trop plein de codes à assimiler.
L’ours du futur est ton ami

Ce côté « plus malin que moi tu meurs » devrait énerver, mais il se double heureusement d’une construction scénaristique très rigoureuse, sous ses allures de foutoir cosmique. Bien sûr, on y croise un ours débarqué d’une autre planète, un footballeur mutant (l’occasion d’un flash-back façon « l’enfance d’un monstre Marvel » absolument merveilleux), des paradoxes temporels que n’aurait pas renié Doc Brown, et un réseau de vidéastes porno. Bien sûr, les personnages sont moins des êtres crédibles que des concepts servant l’ambition décalée d’un metteur en scène démiurge – ses héros même font référence à son travail sur Torque. Bien sûr, l’histoire menace d’imploser en plein vol lorsqu’intervient une menace d’apocalypse et des échanges de personnalités. Mais elle se tient, pour peu que vous ne soyez pas rétifs à un certain nombre d’invraisemblances et de coups tordus pas très bien justifiés (oui, il y a encore un méchant qui ne veut pas crever alors qu’il avait l’air bien mort la seconde d’avant).
Il faut saluer également le flair de Kahn, qui a pu embaucher une belle brochette d’acteurs, de Josh Hutcherson (Hunger Games) à Shanley Caswell (Conjuring) en passant par le comique Dane Cook, qu’on a l’habitude de voir pas drôle dans des comédies moyennes (comme Horribles Bosses), ayant su trouver le ton juste pour s’adapter à cet univers casse-gueule, concassé générique compris dans 90 minutes de folie pure. Bref. Ces qualités, qui seront autant de défauts pour ceux qui ne goûteraient pas l’exercice, sont multiples et ne résument qu’en partie le panard (il n’y a pas d’autre mot) pris à la vision de Detention.