La séance de rattrapage : Brimstone
Western européen au carrefour de plusieurs genres, Brimstone fait passer ses personnages par tous les supplices. Grandiloquent, singulier… indigeste ?
Increvable, indomptable, et toujours aussi malléable, le western n’en finit pas de renaître de ses cendres. Le plus beau, comme l’a prouvé Brimstone avant son arrivée en vidéo puis sur Netflix, c’est que le genre a toujours les honneurs d’une (discrète) distribution en salles, ce que quelques dignes représentants modernes comme Bone Tomahawk n’ont pas réussi à accomplir. Tout comme The Salvation, qui venait du Danemark, Brimstone est un euro-western qui recrée l’ambiance sauvage et inquiétante du grand Ouest américain, en posant ses caméras en Espagne, en Autriche et en Hongrie. Le réalisateur Martin Koolhoven, venu lui de Hollande, s’est fait remarquer il y a déjà quelques années avec le film de guerre Winter in Wartime, et il ne fait aucun doute que son projet lui tient particulièrement à cœur.
Un destin à rebours
Brimstone se divise en quatre chapitres, révélant à rebours les raisons qui ont amené la jeune Liz (Dakota Fanning), épouse muette d’un gentil fermier, à craindre l’arrivée d’un nouveau révérend (Guy Pearce) dans le village. Dès la première apparition de l’homme de foi, à l’allure taciturne, il est clair que celui-ci ne veut pas que du bien à Liz et sa famille. La jeune femme, appréciée pour ses dons de guérisseuse, est mise en difficulté après un accouchement tragique en pleine église. C’est ce moment de faiblesse que choisit le révérend pour semer le chaos dans sa vie, et provoquer un véritable bain de sang. Liz s’enfuit… et nous remontons dans le passé, dans une autre vie, et un autre environnement : celui d’une ville minière dont l’attraction principale est un bordel de luxe dans lequel est précipitée, trop jeune, la timide Liz, alors qu’elle fuyait… le révérend ?
« Pour son baptême du feu au royaume du Far-West, Koolhoven n’a pas choisi la voie de la facilité. »
Une narration en chapitres aux titres sans équivoque (« Exode », « Révélations »…), un scénario elliptique et non chronologique, une violence extrême à l’écran dirigée quasi-exclusivement contre les femmes… Pour son baptême du feu au royaume du Far-West, Martin Koolhoven n’a pas choisi la voie la plus facile. S’il y a bien une sensation qui découle du visionnage de Brimstone, c’est la certitude que le film est ambitieux, qu’il souhaite plus que tout donner un souffle épique, intransigeant, voire sentencieux, à une histoire qui aurait disons-le tout net moins de « panache » si elle était racontée de manière plus classique. Car l’artifice du chapitrage à rebours, qui renvoie le spectateur et notre héroïne de plus en plus loin dans son passé, passé l’effet de surprise qu’il convoque (surtout lors de la transition entre le premier et le deuxième « livre »), souligne surtout l’aspect contraignant d’un récit qui ne recule devant aucune redondance, aucun effet appuyé, pour marteler son message. Jusqu’à rendre ses aspects plus symboliques et subtils indigestes au possible.
Tant qu’il y aura des femmes… à exploiter
Car c’est une évidence, Brimstone nous parle de la condition féminine, dans un brûlot qui cloue au pilori le fondamentalisme religieux, et sa tendance à l’asservissement du sexe féminin aux pulsions masculines, sous couvert de propager la parole de Dieu. Le Révérend, incarné avec un accent appuyé et une gestuelle quasi-métronomique par Guy Pearce, est moins une figure réaliste, à la personnalité compréhensible, qu’un totem maléfique échappé d’une préquelle de Terminator coincée au XIXe siècle. Pervers, sadique, incestueux, ce méchant-là est un monstre de foire increvable qui synthétise tout ce que la barbarie des hommes peut provoquer comme dégâts pour des femmes en quête d’émancipation. Et pour faire comprendre cette notion, Koolhoven nous fait passer par tous les sévices possibles : jeune fille innocente menacée par son père, Liz va devenir prostituée contre son gré, être mutilée, pourchassé à tort… Les malheurs s’abattent sur elle avec un sadisme qui tient du martyre religieux – et encore, la pauvre femme a plus des chances que ses congénères qui passent toutes l’arme à gauche dans des conditions… regrettables.
Maltraitées, exploitées, sauf par quelques personnages positifs masculins archétypaux (veuf protecteur, soldat blessé), qui connaîtront systématiquement un sort horrible, les femmes sont en plus condamnées au silence. Brimstone ne lésine pas sur les symboles (muselière en fer, langues coupées) pour nous faire comprendre qu’il décrit une guerre des sexes à sens unique, dont le réalisateur présume sans doute qu’elle trouve un écho aujourd’hui dans certaines parties du monde. C’est en tout cas ce que le ton férocement moraliste du film et son dispositif grandiloquent laissent entrevoir.
Un western tout-en-un
Même si son œuvre reste pour la plus grande partie inédite dans nos contrées, Martin Koolhoven prouve avec Brimstone qu’il est en tout cas un esthète de grand talent. En brassant les ambiances, les saisons et les décors, le film trouve à chaque chapitre une nouvelle identité, un nouveau souffle. Si les premiers et derniers actes tiennent du film d’angoisse gothique et rural, renvoyant autant aux slashers modernes qu’à La nuit du chasseur, les deux centraux clignent plus de l’œil au western spaghetti et au film d’exploitation, le tout dans des décors réalistes et exploités avec aisance par la mise en scène. Cet assemblage disparate, pour ne pas dire foutraque, donne au moins à Brimstone une dimension singulière, comme si Koolhoven voulait réaliser un tout-en-un en forme de best of.
Logiquement, à près de 148 minutes au compteur, le résultat frise l’indigestion, malgré l’implication manifeste des acteurs (Dakota Fanning, et Carice Van Houten dans un rôle aussi ingrat que courageux, sont particulièrement mémorables). Le film croule sous les sous-intrigues et les personnages vraiment secondaires, se complaît dans un mélange paradoxal de sensiblerie et de voyeurisme SM qui pose question… Il s’écroule même pour de bon dans sa dernière ligne droite, qui voudrait rendre hommage à Charles Laughton mais se vautre sans prévenir dans la série B façon Freddy Krueger. Curieux dénouement, pour un film tout aussi inclassable, lardé de fulgurances graphiques et marqué par son absence revendiquée de compromis.