La 23e édition de l’Etrange Festival bat son plein en ce moment au Forum des Images, et entre les nombreuses projections, les invités de marque qui s’enchaînent (Jaume Balaguero est à peine parti que son amigo Alex de la Iglesia vient profiter de l’hommage qui lui est rendu, entre autres), difficile de trouver le temps de reprendre son souffle ! Arrêtons-nous malgré tout un instant sur trois titres, d’origine et de genre très divers, qui ont marqué nos premiers jours de festival pour des raisons là aussi très variées. Il y a là le documentaire glaçant The Family, venu d’Australie, le film noir Sweet Virginia et le film de monstres asiatique (tous ensemble) Mon Mon Mon Monsters, qui recèle son lot de surprises. Bonne lecture !
The Family : la secte sans honte
Même si elle ne s’étend pas sur huit épisodes, l’enquête rétrospective proposée dans The Family par Rosie Jones peut se mesurer sans souci aux « true crime stories » qui ont fait parler d’elles sur Netflix. Comme Making a Murderer, OJ : Made in America ou The Keepers, The Family nous plonge tête a première dans les tréfonds de la noirceur humaine, sous la forme cette fois d’une secte. « La Famille », c’est son nom, prend sa source non loin de Melbourne, dans une communauté asservie à une gourou fascinante et illuminée. Anne Hamilton-Byrne, d’origine anglaise, forme à la fin des années 60 un culte vénérant sa propre existence (elle estime être la réincarnation de Jésus et doit les préparer à l’apocalypse) avec le soutien de membres de la haute société. Avec son mari, ils vont « adopter » à leur naissance, en profitant de la fragile législation, des dizaines d’enfants, orchestrant des lavages de cerveaux assortis de mauvais traitements faisant ressembler leur proto-orphelinat à une succursale du Village des damnés.
The Family retrace, à l’aide des témoignages de ces enfants libérés dans les années 80 devenus des adultes, et des enquêteurs qui ont tenté de faire condamner les époux, l’histoire d’une secte qui ne disait pas son nom. Rosie Jones multiplie les afféteries plus (la voix sépulcrale d’Hamilton-Byrne qui s’élève sur fond de vues aériennes de la campagne australienne) ou moins (une reconstitution superflue des années 80) convaincantes, pour retracer cinquante ans d’une saga de la destruction de l’innocence, qui prendra aussi la forme d’une traque internationale. Absorbant, et surtout déchirant.
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The Family
De Rosie Jones
2016 / Australie / 98 minutes
Avec Jordan Fraser-Trumble
Sortie prochainement
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Sweet Virginia : noir c’est (trop) noir
Labellisé « l’un des thrillers de l’année » par le très sérieux Variety, Sweet Virginia est pourtant une déception de taille. Basé sur une trame classique (un tueur à gages exécute un contrat dans une petite ville, et sème le chaos lorsqu’il tarde à être payé), qui exhale le parfum de titres coeniens aussi vénérés que Fargo ou No country for old men, le deuxième film de Jamie M. Dagg (River, qui sort en vidéo ce mois-ci) a été tourné pour l’anecdote dans la même bourgade que Rambo. Ce petit coin d’Alaska fournit un contrepoint grandiose et sauvage au jeu de dupes qui s’établit entre les personnages principaux : d’un côté le jeune tueur déséquilibré qui parvient à peine à contenir sa rage et ses fêlures (Christopher Abbott, pas très subtil), de l’autre un ancien champion de rodéo devenu tenancier d’hôtel (Jon Bernthal, dans un rôle finalement pas si éloigné de The Walking Dead). Sans rien connaître des intentions du premier, le second lie avec lui une étrange amitié, autour de leurs souvenirs communs de la Virginie.
Catapulté un temps sur la « Black List » des meilleurs scripts non tournés, le scénario de Sweet Virginia prend son temps pour explorer la psychologie et les affects de protagonistes qui ont tous quelque chose à perdre, à cacher ou à se reprocher, y compris les victimes de la séquence inaugurale. Pour un film noir, c’est un film noir ! Seul souci, l’intrigue est atrocement prévisible, et chaque rebondissement, même patiemment amené, perd de sa puissance tant il paraît immédiatement familier. Pour ne rien arranger, le film pâtit d’une photo exécrable, qui s’imagine sculpter des ténèbres façon Le Parrain, mais donne surtout l’impression de regarder un film où toutes les lumières ont été éteintes. C’est bien simple, pratiquement aucun plan de Sweet Virginia n’est éclairé de façon à montrer correctement le visage des acteurs. Qui doivent être bien ennuyés de voir leur travail ainsi confiné dans l’ombre…
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Sweet Virginia
De Jamie M. Dagg
2017 / USA – Canada / 105 minutes
Avec Jon Bernthal, Christopher Abbott, Imogen Poots
Sortie prochainement
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Mon Mon Mon Monsters : monstres et mauvaise compagnie
L’an dernier, l’Étrange Festival avait programmé un film d’angoisse taïwanais salace et malapris, The Tenant Downstairs, réalisé par Adam Tsuei. Cette année, c’est son scénariste, Giddens Ko, qui revient sur le devant de la scène, en réalisant ce Mon Mon Mon Monsters au titre faussement clownesque. Des monstres il en question dès le prologue de ce film hyperbolique, puisque Ko dévoile ses deux ghoules, consommatrices de chair humaine vivant dans les tréfonds d’un immeuble abandonné, sans attendre. Impitoyables et pourtant douées d’un de protection filiale qui témoigne de leur reste d’humanité, elles ne servent toutefois que de catalyseur pour illustrer le parcours mental d’un jeune lycéen brimé par ses camarades, Shu-wei. Jamais loin de la caricature ni d’une probable vérité sociale, le film nous le montre sujet aux farces de quelques mauvais garçons dominés par le cancre en chef (et sociopathe en puissance) Ren-hao. Alors qu’ils sont condamnés à des travaux d’intérêt généraux, les deux garçons et leur bande tombent sur les ghoules et capturent la plus jeune, la soumettant dans un grand éclat de rire aux pires sévices, dignes de The Woman ou Deadgirl. Shu-wei, logiquement, la prend en pitié tout en étant cette fois du côté des tourmenteurs. Pendant ce temps, l’autre ghoule est en quête de vengeance, et toute l’école va en faire les frais…
Malgré le fait que l’île de Taïwan ne soit pas connue pour ses films de genre, Giddens Ko emballe ici une production particulièrement soignée. Les créatures en titre, bien servies par des maquillages impressionnants, sont étonnamment touchantes, et servent par leur expressivité à mettre en relief un propos attendu façon « le vrai monstre c’est l’homme ». Les scènes d’attaque, notamment d’un bus sous une pluie battante, s’avèrent spectaculairement sanglantes, mais restent superflues en regard des enjeux plus intimes qui constituent le cœur de la narration. Peu subtil et bien misanthrope, Mon Mon Mon Monsters convainc surtout par l’inventivité de sa réalisation, qui parvient à faire avaler les gags les plus lourdauds et les rebondissements les plus caricaturaux (une immolation en direct ne générerait qu’indifférence parmi des centaines d’ados ? Mmm…) dont le script regorge. Espérons que le résultat, comme The Tenant Downstairs, ne reste pas lui aussi inédit chez nous.
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Mon Mon Mon Monsters
De Giddens Ko
2017 / Taïwan / 113 minutes
Avec James Lai, Kent Tsai, Bonnie Liang
Sortie prochainement
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