L’évolution du Danemark à travers les âges ne figurant encore au programme scolaire, il y a peu de chances que les Français soient familiarisés avec le pan d’histoire relaté dans Royal Affair. Passion secrète, révolution politique et guerre d’influences à la cour sont les ingrédients de cette adaptation libre du roman Le médecin personnel du roi et des nombreux pavés relatant en détails cette période cruciale de l’histoire du pays, traversée quelques années avant la Révolution française par un vent réformateur et l’influence des Lumières.
Nous sommes à la fin des années 1760, alors que vient d’être célébré un mariage royal de raison entre le jeune roi du Danemark, Christian VII, et son encore plus cousine, la princesse anglaise Caroline Mathilde, sœur du roi d’Angleterre. Manque de pot pour Caroline, son nouveau mari se révèle être infantile, schizophrène et caractériel, « sans doute par excès de masturbation », souffle-t-on à la cour. Dans les faits, c’est le conseil des ministres local, au sang profondément bleu, qui régit d’une main de fer le pays. Malgré la naissance d’un premier enfant, la reine se morfond dans une vie cloisonnée, jusqu’à ce que revienne d’Europe Christian et son nouveau médecin personnel germain, Johan Friedrich Struensee, un penseur libertin auteur de pamphlets anonymes inspirés de Voltaire et Rousseau. Une passion interdite naît bientôt entre ces deux déracinés désireux de donner des droits au peuple plutôt qu’aux puissants. Ils trouvent bientôt le moyen de manipuler le roi, passionné de théâtre, pour qu’il prenne les rênes de la gouvernance « comme un jeu », ce qui va leur attirer beaucoup d’ennuis…
Il y a quelque chose de splendide au royaume du Danemark
Le réalisateur Nikolaj Arcel et son habituel co-scénariste Rasmus Heisterberg ont sans doute pris quelques libertés avec les faits historiques en contant la rencontre entre Caroline et Struensee. Le coup d’État intime résultant de la rencontre entre deux humanistes en avance sur leurs contemporains, est raconté dans Royal affair à hauteur de visage, entre les murs du palais de Copenhague et la résidence d’été de la cour. Les personnages secondaires sont réduits à des mécanismes de la montée en puissance, puis de la chute, de ce couple maudit : de la confidente de Caroline à la belle-mère conspiratrice en passant par les aristocrates persuadant Struensee d’intégrer la cour dans leur intérêt. Ce schématisme permet en contrepartie d’épouser au mieux chacune des étapes de la prise de pouvoir du couple, culminant lors de la dissolution du conseil par un roi aussi imprévisible que manipulable.
Pédagogique sans être donneur de leçons, ce qui permet de ne pas s’ennuyer une seule seconde pendant 2h17 (ce qui n’est pas si aisé dès lors que l’on parle de film en costumes sur un sujet a priori aussi austère), le film se pare de plus d’un écrin esthétique admirable. Arcel multiplie les plans tournés à « l’heure magique », évoquant certaines peintures de Vermeer, et utilise avec parcimonie les effets numériques pour nous plonger sans ostentation dans une époque trouble et grandiloquente à la fois. Le cinéaste n’est pas un débutant : son seul film sorti en France jusqu’à présent était une variation danoise d’Harry Potter, pleine de malice et forte d’effets visuels impressionnants, appelée chez nous L’Île aux sorciers. Arcel a ensuite goûté aux joies de l’adaptation avec un autre succès, suédois cette fois-ci, en l’occurrence le premier opus de la trilogie Millenium.
Le nom du Roi
Royal affair, produit par la société de Lars von Trier, avec lequel Arcel a travaillé sur Antichrist, marque sans aucun doute la consécration du jeune auteur, qui avait à sa disposition un trio d’acteurs parfait pour signer un classique du genre : auréolé de son prix d’interprétation à Cannes pour La Chasse, Mads Mikkelsen fait là encore un sans-faute dans le rôle de Struensee, ami et père de substitution d’un roi à la lisière de la démence, amant pas si désintéressé de sa reine au contact de laquelle sa prudence s’étiole. L’intensité de jeu de ce quasi vétéran (qui a 12 ans de plus que son personnage) ne semble pas avoir impressionnée sa partenaire Alicia Vikander (qu’on reverra dans quelques jours dans un autre film en costumes, Anna Karénine), chargée d’incarner à l’écran la liberté d’esprit et la mélancolie résignée de Caroline Matilde.
Mais jusqu’à présent, c’est un quasi inconnu qui a récolté le plus de lauriers : à peine sorti du Conservatoire, Mikkel Boe Folsgaard est le véritable électron libre de Royal affair, composant une figure royale insaisissable, sous-entendant dans chaque mimique, chaque regard, une conscience plus aigue de la situation qu’il n’y paraît. Les historiens se battent encore aujourd’hui pour savoir si Christian VII était bel et bien schizophrène : Folsgaard et Arcel travaillent de concert à brouiller les pistes sur ce point, et en font un personnage tragique, dont le plus cruel des paradoxes est d’être à la fois la marionnette de ses sujets, de sa famille puis de son meilleur ami (qui finira par lui confier un enfant nègre pour occuper ses journées). Le film est décidé à lui rendre justice, en rappelant le rôle historique qu’il jouera quelques temps avant l’année 1789 dans la prise de pouvoir de son fils Fréderic VI. Celui-ci poursuivra en effet les réformes, auparavant jugées utopiques, engagées par Struensee et sa reine.
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Royal Affair
De Nikolaj Arcel
2011 / Danemark / 137 minutes
Avec Mads Mikkelsen, Alicia Vikander, Mikkel Boe Folsgaard
Sortie le 26 février 2014
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Superbe film à tous les niveaux en effet. La composition de Mikkel Boe Folsgaard m’a vraiment bluffé, tout comme l’équilibre quasi-parfait entre passion amoureuse, passion de la politique. La lumière, cette caméra qui frôle les visages… J’ai lu quelque part que c’était le nouveau Barry Lyndon. Comme je ne l’ai pas vu, je vais immédiatement réparer cette erreur !