LBJ : l’homme qui voulait être Kennedy

par | 27 avril 2018

Biopic très académique du président controversé Lyndon B. Johnson, LBJ plaira avant tout aux amateurs de l’histoire politique américaine et des « années JFK ».
Il doit être écrit, sans doute dans la Constitution, que chaque président des États-Unis ait droit un jour à son biopic hollywoodien. La politique américaine a toujours été, sous une forme ou une autre, une affaire d’image, de spectacle et de mythologie réécrite au fur et à mesure que les historiens se penchaient sur les personnalités de chaque « POTUS » emménageant à la Maison Blanche. Après être resté longtemps coincé dans l’inconscient collectif entre les figures écrasantes de Kennedy, le martyr de Dallas, et Richard Nixon, le croquemitaine du Watergate, Lyndon Baines Johnson a finalement droit à ce qu’on peut appeler une heure de gloire cinématographique. Bien qu’Oliver Stone n’ait pas daigné se pencher sur son cas, celui qui fut le premier homme politique purement sudiste à la tête du pays de 1963 à 1968, est apparu quatre fois ces dernières années de l’autre côté de l’écran, d’abord dans Le Majordome, sous les traits de Liev Schreiber (pas très convaincant), puis dans Selma (joué par Tom Wilkinson) et Jackie (c’était John Carroll Lynch, dans une courte apparition), et enfin sur HBO dans All the way, où l’impeccable Bryan Cranston enfilait ses pantalons en pince et cheveux plaqués en arrière. Si l’on compte également les biographies et livres édités à propos de ce fils de fermier, on comprend mieux l’intérêt de voir sortir ce LBJ, acronyme en trois lettres dont la parenté avec un prédécesseur célèbre résume bien l’angle choisi par le réalisateur Rob Reiner et son scénariste Joey Hartstone.

Président malgré lui

Contrairement à beaucoup de ses homologues ayant occupé le Bureau ovale, Lyndon B. Johnson (Woody Harrelson, qui n’a pas à se forcer pour prendre l’accent) n’est pas ce qu’on peut appeler un type fascinant à première vue. Démocrate, Texan et fier de l’être, cette bête politique reste pendant de longues années un besogneux de talent, assez doué pour accéder à la tête de son parti au Sénat, avant d’être tenté de se lancer dans la course à l’investiture pour la Présidence. LBJ démarre alors que Johnson tarde à prendre sa décision, redoutant plus que tout l’échec et souffrant visiblement d’un complexe d’infériorité, qu’il tempère glorieusement en faisant profiter son staff de ses manières rustres et son langage fleuri. Et c’est ce qui arrive quand John Fitzgerald Kennedy (Jeffrey Donovan, très peu ressemblant, mais passons) lui passe devant au sein des Démocrates. JFK, jamais très loin de son frère Bobby (Michael Stahl-David), devient Président mais invite Johnson à être son vice-président. La suite, tout le monde la connaît : il y aura ce virage fatal à Dallas, et cette loi pour les Droits Civiques, lutte emblématique de sa présidence que Johnson reprendra à son compte, quitte à se mettre à dos ses soutiens sudistes, comme le sénateur Russell (excellent Richard Jenkins), guère enchantés à l’idée de donner des droits aux minorités afro-américaines…

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Ce que l’Histoire retient de Lyndon B. Johnson, malgré les mesures novatrices prises sous sa présidence pour endiguer la pauvreté, c’est qu’il envoya des milliers d’Américains combattre au Vietnam pour de mauvaises raisons. Cette guerre inutile et coûteuse fut un traumatisme national (Nixon y joua aussi un rôle non négligeable), et l’acte emblématique de cette décennie charnière pour l’histoire du pays. Il est donc surprenant de voir ces faits historiques compressés dans LBJ dans une note de pré-générique, comme un épilogue un peu dommageable à une carrière glorieuse, un twist tardif que le film préfèrerait reléguer à la marge. À la place, Reiner et Hartstone préfèrent se concentrer sur la période Kennedy, celle où Johnson était un éternel outsider pas assez charismatique pour être en haut de l’affiche. Là où JFK était « l’étalon de prestige », lui était un « cheval de traie », selon ses propres termes. C’est également la période la plus traitée à Hollywood, et le film ne gagne pas de points pour l’originalité en organisant son scénario autour du fatidique jour de l’assassinat de JFK, l’histoire de Johnson nous étant racontée en flash-back dans les moments précédant ce moment recréé des centaines de fois par le prisme de la fiction, telle une catharsis à jamais insuffisante. LBJ nous montre un politicien roublard et dogmatique, peu à cheval sur la morale mais assez clairvoyant pour sentir que le vent de l’Histoire tournait en faveur de l’égalité des droits. Et c’est ce cheminement psychologique que le film entend glorifier, avec la finesse habituelle d’un biopic à Oscars…
Même s’il avait déjà montré par le passé son appétit pour la sphère politique, avec Le président et miss Wade (scénarisé par Aaron Sorkin, futur showrunner… d’À la Maison-Blanche), Reiner surprend en s’attaquant à cette figure encore controversée de nos jours. Le réalisateur de Princess Bride et Des hommes d’honneur confesse d’ailleurs qu’il n’était pas un grand fan de Johnson, tout comme Woody Harrelson. Sans doute les deux hommes ont-ils eu une révélation ? LBJ tangue en tout cas dangereusement du côté de l’hagiographie, dépeignant avec le maximum de circonstances atténuantes l’arrivée au pouvoir et la prise de conscience d’un type pourtant décrit comme à la solde des lobbies militaires, un conservateur chrétien naïvement choqué par les difficultés que peut rencontrer sa servante noire quand elle rentre seule chez elle… Il est pourtant difficile de prendre en empathie un personnage finalement aussi terne, défini par son ambition et ses doutes plus que par ses valeurs et son humanisme. Les défauts, comme les qualités de Johnson, sont si peu remarquables que l’utilité même de lui consacrer un biopic dont il serait le héros par accident (si ce n’était pour une balle, aurait-il été un jour président ?) nous effleure parfois l’esprit. Il faut dire que la réalisation par trop impersonnelle de Reiner n’aide pas à transfigurer ce sujet délicat et complexe. Là où un dramaturge comme Sorkin sait rendre tendues et virevoltantes les scènes de discussions politiques, LBJ enchaîne sans passion des vignettes de dialogues qui préfèrent souligner l’évidence des enjeux que de contribuer à incarner ses personnages. Les frères Kennedy, entre autres, ne ressortent pas grandis de ce traitement unilatéral. Noyé dans des fonds numériques et une photographie terne, le film paraît presque moins « riche » que le téléfilm All the way, qui se déroulait à la même période avec un faste plus apparent – comparez juste les apparitions de Johnson à la chambre du Sénat pour saisir la différence artistique. Et puis il y a bien sûr la question du maquillage de Harrelson, qui ressemble si peu au vrai Président qu’on lui a appliqué des couches de latex le faisant ressembler, comme le souligne un critique américain, à un croisement entre Madame Doubtfire et un masque de président récupéré sur le tournage de Point Break. Il faut tout le métier de Harrelson pour parvenir à extirper un semblant de performance de cet accoutrement incroyablement bizarre, qui choque dès qu’il fait face à un autre acteur, exception faite de Jennifer Jason Leigh, pas mieux lotie dans le rôle de son épouse. Comme dans la réalité, ce n’est donc pas pour ses qualités pédagogiques – largement biaisées redisons-le – et sa bonne volonté que l’on se souviendra de LBJ, mais pour cette « transformation » pas très inspirée. That’s a damn shame, comme ils diraient.