The Laundromat : une comédie noire qui s’éparpille
Exploration cynique d’un système conçu pour profiter aux ultra-riches, The Laundromat est un exercice de style soderberghien parfois brillant… et parfois moins.
Réjouissons-nous pour une fois qu’un artiste ne tienne pas ses promesses : depuis qu’il a finalement renoncé à sa retraite anticipée, Steven Soderbergh est redevenu d’un coup hyperactif au cinéma. Et cette énergie retrouvée fait pour l’instant le bonheur de Netflix, qui s’est payé son avant-dernier long-métrage en date, l’anecdotique et inégal High Flying Bird (tourné, comme son Paranoïa, intégralement avec un iPhone), puis ce plus clinquant The Laundromat. Un film choral furieusement d’actualité, écrit par son collaborateur scénariste Scott Z. Burns (The Informant !, et récemment The Report en temps que réalisateur), qui se propose de nous expliquer les dessous de l’affaire des Panama Papers qui a éclaté en 2016.
Des victimes aux profiteurs
Tout comme The Big Short, The Laundromat (littéralement « la lessiveuse ») choisit d’adopter un ton badin et ludique pour rendre intelligible cette attaque en règle du système financier international, qui permet aux super-riches d’organiser leur évasion fiscale par l’intermédiaire de compagnies offshore imaginaires. Du blanchiment d’argent généralisé, qui influe, nous disent Soderbergh et Burns, sur la mécanique générale d’un monde de plus en plus désincarné. Et quoi de mieux pour comprendre ce postulat que de se concentrer sur l’humain, sur les modestes et les puissants qui profitent ou pâtissent de ce désespérant état des lieux
« Une vaste galerie, qui dresse collectivement un portrait glaçant de notre XXIe siècle déchiré par un affrontement de classes globalisé sans probité ni morale. »
The Laundromat se présente donc comme une sorte d’anthologie en six chapitres, introduite et commentée, lors de plans-séquences aussi outrés qu’irrésistibles, par Antonio Banderas et Gary Oldman (qui affecte un accent allemand à coup au couteau). Les deux stars incarnent respectivement Ramon Fonseca et Jürgen Mossack, les deux avocats véreux du cabinet d’où provenaient les fameux Panama Papers. Véritables messieurs Loyal aux répliques cyniques et à la théâtralité outrée, les deux acolytes sont les profiteurs goguenards d’un système qui se caractérise par son inhumanité érigée en rempart social. Meryl Streep incarne ainsi une retraitée devenue veuve après un accident de bateau de croisière, qui se heurte dans sa quête de justice à un labyrinthe de sociétés d’assurance fantômes ouvrant sur un vide juridique béant : puisque ces sociétés n’existent que sur le papier, personne n’est responsable de rien. Un paradoxe visualisé avec génie par Soderbergh dans une séquence en miroir opposant le fantasme cartoonesque de vengeance de son personnage à la froide réalité des faits.
Un constat lucide et glaçant
Mais la chouchou des Oscars n’est bien sûr pas la seule que nous suivons : The Laundromat nous invite successivement à rencontrer un comptable étrange menant une double vie (Jeffrey Wright), un père de famille richissime qui tente d’acheter le silence de sa fille (Nonso Anozie), un « blanchisseur » en délicatesse avec un couple de politiciens chinois (Matthias Schoenaerts), ou les propriétaires impuissants de la société de plaisance (Robert Patrick et David Schwimmer)… Une vaste galerie – à laquelle on pourrait rajouter Sharon Stone, Will Forte ou James Cromwell, pour des rôles éclairs -, qui dresse collectivement un portrait glaçant de notre XXIe siècle déchiré par un affrontement de classes globalisé sans probité ni morale – à tel point que Soderbergh s’incluse lui-même dans les profiteurs de ce système. Le film laisse parfois entrevoir un espoir de justice, presque hollywoodien par essence (on jurerait, brièvement, être dans un nouvel Erin Brokovich), avant de refermer tout aussi sec la porte.
Dommage du coup que le film finisse par perdre un peu son bel équilibre, en passant trop vite sur les aspects saillants du dossier pour s’appesantir sur le secondaire – avait-on par exemple besoin d’assister à un marivaudage de vingt minutes dans la haute société ? The Laundromat, s’il se veut cruellement lucide et enjoué à la fois, s’éparpille dans des considérations brumeuses, et s’effondre presque totalement dans un épilogue mystificateur et ultra-stylisé, où Soderbergh et sa star se font un peu trop doctement moralisateurs pour convaincre. La simple description des faits dans cette affaire était pourtant bien assez éloquente…