The Aeronauts : aller plus haaaut !
La météorologie ça peut donner des films spectaculaires comme ce The Aeronauts de belle facture, qui prend toutefois des libertés gênantes avec l’Histoire.
Curieux destin que celui connu par The Aeronauts, production anglo-américaine que les posters vendaient un temps comme une expérience à vivre en Imax. Et cet appel du pied à voir le film de Tom Harper (réalisateur de nombreux épisodes de Peaky Blinders et This is England) sur le plus grand écran possible est visible dans le produit fini, qu’Amazon Studios a finalement décidé de diffuser dans le monde sur sa plate-forme de streaming Prime Vidéo. Avec ses changements de format abruptes à la Christopher Nolan, ses effets spéciaux photoréalistes destinés à nous faire ressentir le vertige d’un dangereux voyage en ballon au-dessus de Londres, The Aeronauts se rêve en grand spectacle old school invitant à l’évasion. Mais un classicisme pesant, des digressions vaporeuses et le côté affabulateur du scénario clouent un peu le film au sol en définitive.
Un périple pour la science
The Aeronauts est avant tout une histoire de pionniers. Pionniers des airs, puisque nous sommes au XIXe siècle et que l’Occident commence tout juste à investir les airs grâce aux vols en ballon permis par ce bon vieux monsieur Montgolfier. Les pilotes de ballon ont la vie dure et le goût du risque, sans doute pas moins que les scientifiques de cette époque. L’un d’eux, le britannique James Glaisher (Eddie Redmayne) est persuadé qu’un voyage en ballon permettrait d’en savoir plus sur les phénomènes atmosphériques et, gasp, de prédire la météo. Le visionnaire homme de science, qui se heurte bien sûr aux gaussements de ses pairs, parvient tout de même à financer un voyage en compagnie d’Amelia Rennes (Felicity Jones), pilote exubérante devenue veuve après la chute de son mari (Vincent Pérez !) lors d’un précédent voyage. Ensemble, ils vont tenter de battre le record d’altitude établi par les Français, et de faire avancer la recherche au péril de leur vie…
« Aucun long-métrage n’avait jusqu’à présent représenté avec autant de détails immersifs et de moyens à l’écran ce que pouvait être une telle aventure. «
Signe d’une époque où le spectacle promis doit nous être servi tout de suite, sans attendre, The Aeronauts débute dans le feu, ou plutôt l’air de l’action, alors que les éléments se déchaînent autour de la montgolfière de nos héros. Plus qu’aucun autre moyen de transport aérien, le ballon est un fragile et dérisoire esquif à la merci des sautes d’humeur du ciel, des chutes de températures extrêmes aux orages en passant par les tempêtes diluviennes qui se déclenchent sans prévenir. Pour connaître James et Amelia, le film va opérer dès la scène suivante un retour en arrière régulier, The Aeronauts se révélant être construit entièrement en va-et-vients temporels nous ramenant sur la terre ferme entre deux grandes scènes d’action aux VFX bluffants. Plutôt que de faire monter progressivement la température, ce choix d’angle souffle le chaud et le froid en terme d’intérêt, le voyage en lui-même étant bien plus passionnant que les prévisibles obstacles bureaucratiques qui le précèdent.
Immersion à mi-temps
Déjà réuni à l’écran pour les besoins d’Une merveilleuse histoire du temps, Eddie Redmayne et Felicity Jones sont pour beaucoup dans l’empathie que l’on peut éprouver pour James et Amelia. Personnages sommairement dessinés dont la personnalité est amputée par ce montage à rebours, le scientifique obtus, version victorienne du nerd obsessionnel, et la pétulante monte-en-l’air, dont les bravades cachent mal le traumatisme qui l’étreint, peuvent compter sur la classe et le charisme boudeur des deux comédiens, durant ce qui aurait pu (du !) être un huis-clos total en plein air. Impossible de le nier : l’attrait principal de The Aeronauts réside dans ces moments à la fois poétiques et renversants de réalisme où le duo croise des nuées de papillons, tente de résister au froid polaire, échappe à des chutes mortelles ou grimpe à flanc de toile pour réparer une trappe indispensable. Aucun long-métrage n’avait jusqu’à présent représenté avec autant de détails immersifs et de moyens à l’écran ce que pouvait être une telle aventure. Et Tom Harper se montre assez habile dans sa mise en scène pour gommer la frontière entre les quelques prises de vues réelles et les nombreux plans par ordinateur.
Il est d’autant plus difficile de pardonner le rythme cahotant et le manque d’intérêt flagrant des scènes de remplissage qui anéantissent à intervalles réguliers la dimension épique des séquences aériennes. Qu’il s’agisse du meilleur ami de James joué par Himesh Patel (Yesterday), du mari décédé d’Amélia incarné on ne sait trop pourquoi par Vincent Perez ou de sa famille choquée par son mode de vie, aucun moment ne marque les esprits en dépassant le stade du poncif. The Aeronauts n’existe que par ou pour son appel à l’évasop,, aussi fugace (le fameux voyage dure à peine deux heures en réalité) que rocambolesque. Ce temps perdu, le film aurait pu le consacrer à établir avec plus de rigueur la vérité historique : il est important mine de rien de savoir que le personnage d’Amelia, contrairement à James Glaisher, est entièrement fictionnel. Et qu’en créant de toutes pièces ce couple complémentaire mais platonique, et donc cette héroïne avant-gardiste (qui s’inspire de véritables femmes pilotes de l’époque, mais qu’importe), The Aeronauts s’est aussi permis d’effacer du paysage le véritable pilote de ce célèbre voyage, Henry Coxwell. Que le film lui soit en partie dédié n’excuse pas entièrement cet arrangement opportuniste avec les faits…