Feedback : une radio en otage

par | 14 février 2020

Un présentateur de radio doit faire face à des preneurs d’otages féroces dans Feedback, un huis-clos de haute volée emmené par le toujours parfait Eddie Marsan.

On prend trop souvent acquis le talent de certains comédiens pour s’oublier derrière leurs rôles, et nous faire oublier qu’ils sont toujours là, dans un coin de l’écran, à rendre leurs personnages mémorables, seconds rôles ou pas. Eddie Marsan fait partie de ces acteurs de composition trop sous-estimés, dont la versatilité et l’appétit de jeu illuminent autant les drames sociaux british que les blockbusters hollywoodiens. Dans sa pléthorique filmographie à cheval entre les deux côtés de l’Atlantique, peu de rôles en tête d’affiche, si ce n’est Une belle fin et ce Feedback à l’équipe technique et artistique en grande partie espagnole, malgré le fait que l’action se déroule à Londres. Premier long-métrage de Pedro C. Alonso, co-écrit par Alberto Marini (Malveillance, Ton Fils visible sur Netflix), Feedback vient s’ajouter à une courte mais prestigieuse lignée de huis-clos radiophoniques, comme Talk Radio ou Pontypool, et prend la forme d’un suspense particulièrement viscéral et connecté avec notre actualité.

Good evening, London !

Star de la station de radio britannique DBO, grâce à son émission de débats polémique « La vérité nue », Jarvis Dolan (Marsan) se remet tout juste d’une agression perpétrée par des « fascistes » qui ont brûlé sa voiture et laissé quelques cicatrices. Son patron lui demande pour son retour à l’antenne de faire revenir son ancien partenaire sur les ondes, Andrew Wilde (Paul Anderson, Peaky Blinders), ce que Jarvis accepte à contrecoeur. Peu après la prise d’antenne, le présentateur se rend compte que l’équipe technique a été prise en otage par des individus masqués. Ceux-ci l’ont enfermé dans le studio, et mettront leurs menaces en pratiques si Jarvis ne fait pas, et surtout, ne dit pas en direct ce qu’ils veulent entendre…

« Les thèmes abordés par le film, du Brexit au mouvement #MeToo, semblent avoir été directement repris de l’actualité des derniers mois. »

On pourrait présenter Feedback comme un film d’« invasion domestique » détourné car intégralement situé dans un décor de radio ultra-design (mention spéciale à la « dead room » insonorisée peinte en jaune). Visage fermé, hautain et maître de ses émotions, Jarvis apparaît immédiatement comme le patron des lieux. Un auto-proclamé poil à gratter des ondes, qui oppose « les faits bruts » à ce qu’il nomme « la post-vérité ». Marsan est brillant dans ce rôle complexe d’agent perturbateur qui s’effrite lorsque l’impensable se produit dans son studio. Brutal, voire carrément sanglant à partir du deuxième acte, Feedback ne retient aucun coup tandis que le mystère s’épaissit autour des véritables intentions des intrus, et du passé de Jarvis et Andrews… Impossible d’en dire plus sur ces révélations sans gâcher la surprise (un twist bien placé permet notamment de relancer joliment la machine à mi-parcours).

On se contentera de souligner que les thèmes abordés par le film, de la méfiance vis-à-vis des médias au Brexit en passant par le mouvement #MeToo, semblent avoir été directement repris de l’actualité des derniers mois – la tension qui parcourt ces 90 minutes de tension ne s’en trouve que renforcée. Autour de Marsan, Alonso a rassemblé un beau casting, où brille autant la jeune Ivana Baquero (Alta Mar) que la gueule tranchante de Richard Brake (Mandy). Le réalisateur démontre une belle gestion de l’espace et tire au mieux profit de ses décors exigus, même s’il doit sacrifier pour cela à une certaine part d’invraisemblance (mais que fait la police pendant cette séance de torture mentale en direct live ?). De même, Feedback a beau s’appuyer sur des personnages archétypaux pourtant dotés d’une vraie épaisseur, l’impression de remplissage se ressent à plusieurs reprises – notamment lors d’une séquence de rêve gratuite et absconse, et d’un épilogue qui en fait un poil trop. Imparfait dans sa globalité, Feedback demeure pourtant un thriller intense et captivant, qui prouve si besoin était que Marsan a tout à fait la carrure pour occuper le siège de la star du show.