Red Joan : espionne malgré elle
Judi Dench incarne une espionne anglaise inculpée 50 ans après les faits dans Red Joan, qui illustre doctement une incroyable histoire vraie.
Tous les espions ne sont pas forcément des patriotes adeptes du mensonge et dudouble jeu. C’est en tout cas le cas de Melita Norwood, ancienne scientifique qui en 1999, fut démasquée et admit au service de renseignements et au public britannique avoir transmis les secrets de la bombe atomique aux Soviétiques à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. La « mamie espionne », telle qu’on la surnomma, fit l’objet en 2013 d’un roman de Jennie Rooney, maintenant adapté au cinéma par le réalisateur Trevor Nunn (La Nuit des Rois) et la scénariste Lindsay Shapero. Dans Red Joan, l’ex-espionne octogénaire change de nom, mais son destin reste identique. Incarnée par Judi Dench, Joan est une personne âgée affable et discrète, peu surprise de voir débarquer, après l’annonce dans la presse de la mort d’un ancien collègue, les agents du renseignement qui l’arrêtent pour trahison. Les faits se déroulent avant et pendant la guerre, alors que la jeune femme (Sophie Cookson, Kingsman 2) étudie les sciences à Cambridge. Elle se lie d’amitié avec la séductrice Sonya (Tereza Srbova) et surtout son cousin Leo (Tom Hughes), communiste charismatique dont elle tombe amoureux. Quand Joan entre au service du scientifique Tom Davis (Stephen Campbell) et travaille avec lui à peaufiner les plans d’une « super-bombe », ses convictions vacillent. Leo lui demande alors de faire passer des plans secrets à « l’allié » soviétique…
Amours contrariés et secrets d’Etat
Passions interdites, secrets d’Etat, allégeances mystérieuses, et récit à cheval sur deux époques mêlant l’intime et l’Histoire avec un grand H… Avec des éléments narratifs aussi denses, il est presque surprenant de découvrir que Red Joan est aussi dépassionné et linéaire. A l’urgence et la tension qu’impliquent les choix cornéliens auxquels Joan se confronte à un demi-siècle d’écart (trahir son pays pour garantir un équilibre des puissances, et donc la paix ; confesser ses actes à sa famille et à son pays), Trevor Nunn privilégie le doux confort de la reconstitution d’époque certifiée « qualité British ». A la manière d’Imitation Game, Red Joan est un drame feutré et scolaire, qui fait peu de cas des quelques scènes contemporaines portées par une star, Judi Dench, qui en fait beaucoup avec bien peu (c’est après tout pour 10 minutes de présence à l’écran qu’elle avait remporté un Oscar dans Shakespeare in Love), et déploie essentiellement sa narration dans les flash-backs portés par la jeune Sophie Cookson. A elle d’incarner cette femme intelligente dans un monde d’hommes, dont les convictions intimes passent au second plan puisque le scénario préfère avant tout l’imaginer en héroïne romanesque victimes de ses sentiments, partagée entre un homme qui la pousse à trahir, et un autre à qui elle va devoir mentir.
« Red Joan est un drame feutré et scolaire, qui fait peu de cas des quelques scènes portées par Judi Dench, qui en fait beaucoup avec bien peu. »
C’est une manière comme une autre d’ajouter de l’incertitude dans un long-métrage qui ne peut par ailleurs être qualifié de palpitant, même dans les moments où les révélations s’enchaînent et où la pression se resserre autour de Joan. Mais ce genre de simplification, et le déséquilibre flagrant entre les deux périodes du récit, a comme effet pervers d’atténuer le propos même du film, à savoir les raisons qui ont amené Joan à devenir un rouage du système stalinien, et les répercussions que cette révélation a pu avoir, tard dans sa vie – il faut se contenter à la place de scènes pauvrement écrites l’opposant à un fils avocat scandalisé-mais-compréhensif. Red Joan remplit son contrat premier, en l’occurrence relater et donner une résonance contemporaine à cette histoire vraie qui questionne notre sens du devoir autant que notre nécessaire sensibilité humaniste. Mais il y a peu de grand cinéma là-dedans, et un goût d’académisme qui persiste au-delà de sa pataude conclusion.