La séance de rattrapage : Vivarium
Sorte de long épisode de La Quatrième Dimension, Vivarium construit avec succès un entêtant cauchemar en vase clos sur la parentalité et le conformisme.
Ils sont une poignée de films, à pouvoir se targuer d’être les « sacrifiés du confinement ». Les longs-métrages sortis début mars dans les salles françaises ont vu leur carrière stoppée net par la fermeture des cinémas. Et parmi ces victimes malheureuses de la pandémie, figurent en bonne place ceux sortis le 11 mars, quatre jours à peine avant le baisser de rideau. Comme Radioactive, ou Une sirène à Paris, Vivarium fait partie de ces titres dont on peut dire qu’ils sont sortis au cinéma, mais dont les spectateurs qui en furent témoins sont rares. Son distributeur, The Jokers Films, ayant décidé de recourir à une sortie VOD anticipée plutôt que d’attendre la réouverture – le piratage étant aussi une raison pour son président, Manuel Chiche, d’arrêter les frais -, c’est le moment de découvrir, chez soi et les yeux grands ouverts, ce réjouissant film fantastique repéré à la Semaine de la Critique 2019, réalisé par le prometteur Lorcan Finnegan.
Soyez heureux, je le veux
Sa sortie en salles amputée n’est pas le seul rapport que Vivarium entretient avec le coronavirus : dans ce film qui ne peut qu’évoquer une version longue d’un épisode The Twilight Zone, un couple de jeunes héros se retrouve confiné pour la vie dans la maison de leurs rêves, avec impossibilité de quitter leur quartier (les renvois involontaires à l’actualité ont fait flipper jusqu’au réalisateur lui-même). Une bonne situation, une belle maison, une famille heureuse : voilà ce rêve basique auquel aspirent Tom (Jesse Eisenberg, qui travaille pour le meilleur son inquiétante antipathie) et Gemma (Imogen Poots, désarmante jusque dans l’épuisement émotionnel), un couple mignon et lambda qui part en quête du havre idéal après une rencontre avec un agent immobilier pourtant bien flippant – et ressemblant à s’y méprendre à Crispin Glover. Un quartier tout frais livré, des maisonnettes identiques au teint verdâtre, un ciel bizarrement pastel, des rues désertes : le décor de Vivarium ressemble à un tableau de Magritte en mouvement, une grille informatique à taille humaine, dans laquelle Tom et Gemma vont se retrouver piégés bien malgré eux. Coincés dans leur maison « témoin », les amoureux voient débarquer un beau matin un colis avec un bébé à l’intérieur. À vous de l’éduquer si vous voulez être libre, dit le mot accroché au carton. Le confinement de l’enfer commence…
« Le film doit s’appréhender comme une fable sarcastique sur l’obligation qui est faite aux hommes et aux femmes de perpétuer un cycle sans fin . »
Il a fallu peu de moyens à Lorcan Finnegan (et pas mal de trucages optiques et numériques) pour créer le monde en vase clos, répétitif et circulaire jusqu’au vertige, de Vivarium. Le pouvoir d’évocation du résultat n’en est que plus passionnant et parfois hypnotique. Parce qu’il prend place dans une réalité impossible (Tom et Gemma commencent par vouloir ressortir sans s’inquiéter en cherchant l’entrée du lotissement et finissent immédiatement par se perdre), parce qu’il commence sur les images d’un nid d’oiseau perturbé par une autre espèce, il est clair que le film doit s’appréhender comme une fable sarcastique sur la famille nucléaire, sur l’obligation sociale et par là même sociologique qui est faite aux hommes et aux femmes de s’installer, de consommer, de procréer et de perpétuer un cycle sans fin, quitte à se sentir étranger dans son propre cocon.
Une étrange mélancolie
Confrontés à l’attitude irrationnelle puis inquiétante de leur « enfant » tombé du carton, Tom et Gemma deviennent des parents malgré eux constamment excédés (« Je ne suis pas ta putain de mère ! »), mais qui face à la puissance irrationnelle du quotidien, de la routine, finissent par reproduire les schémas attendus d’eux – mais par qui ? C’est là l’élément véritablement fantastique, SF même, qui se niche dans l’histoire. Tom travaille dans le jardin tel Michael Shannon dans Take Shelter, obsédé par l’idée de s’évader, tandis que Gemma développe un instinct maternel contre nature, qui rappelle comme nous l’évoquions récemment le tout aussi contemporain The Room. Leur dérive progressive est prévisible, certes, mais le malaise, la tristesse et la mélancolie qui se dégagent de cet univers aux coutures artificielles ont quelque chose d’entêtant, aidé il faut le dire par le capital sympathie indéniable que dégage son couple d’acteurs, confronté à des situations systématiquement ubuesques et étranges.
Vivarium passionne un peu moins dans l’exploration de son arrière-plan science-fictionnel. Finnegan tente, sans trop de conviction, de lever littéralement le voile sur les raisons de l’enfermement, faisant basculer brièvement le film dans un monde à la David Lynch ou Tim Burton, mais l’explicatif sied moins à Vivarium que l’indicible. On est heureux de savourer les scènes où le cinéaste, qui n’a que faire des conventions héroïques, s’amuse à décomposer par l’absurde notre conformisme domestique, plutôt qu’en décortiquant un cauchemar qui perd de sa force d’attraction lorsqu’il se confronte à la logique. De là à dire qu’on aimerait arpenter ces allées proprettes pour l’éternité…