Don’t let go : passé recomposé
Descendant tardif de Fréquence Interdite, Don’t let go mélange habilement SF, thriller et drame intimiste, sans pourtant générer l’excitation attendue.
Dernier-né de la branche « Tilt » du prolifique studio Blumhouse, Don’t let go s’appuie sur un argument fantastique aussi farfelu qu’il peut être excitant en terme de distorsion narrative. Alors qu’il s’apparente d’abord à un polar californien à tendance intimiste (l’action se déroule dans un Los Angeles quadrillé et filmé comme un labyrinthe résidentiel à ciel ouvert), centré sur la relation fusionnelle entre un flic protecteur, Jack Radcliff (David Oleyowo, Selma), et sa nièce Ashley (Storm Reid, Invisible Man) dont le père pourrait bien être retombé dans le deal de drogue, Don’t let go bifurque au bout d’un quart d’heure vers une piste bien différente. La tragédie frappe Jack lorsque Ashley et ses parents sont retrouvés assassinés dans leur maison, mais peu de temps après, le policier reçoit sur son téléphone un appel curieux et impossible : l’adolescente est au bout du fil, bien vivante ! Abasourdi, Jack doit pourtant se rendre à l’évidence. La jeune fille l’appelle du passé et une occasion inespérée est donnée à son oncle de changer le cours des choses…
Secondes chances et gros clichés
Les paradoxes temporels inexplicables (et qui dans le cas présent, restent inexpliqués), fournissent en général une riche matière cinématographique pour qui aime explorer les thèmes des occasions manquées, de la seconde chance. Qui n’a jamais rêvé de pouvoir corriger une erreur du passé, de renverser le cours des choses pour sauver ce qui leur est cher ? Ce « Et si… ? » en appelant à la magie divine est un argument suffisant en soi pour le réalisateur et scénariste Jacob Aaron Estes, qui n’avait guère refait parler de lui depuis le troublant drame adolescent Mean Creek en 2004 et braconne ici sur les terres de l’attachant Fréquence Interdite, où Jim Caviezel discutait par CB interposée avec un Dennis Quaid disparu depuis de longues années. Armé d’un budget que l’on devine modeste, avec une abondance de cadres serrés et un casting principal réduit à une petite poignée de personnages, le cinéaste orchestre une course contre l’inévitable qui s’avère plus convaincante dans sa dimension fantastique feutrée (exceptée une caméra tremblotante et des effets de lumière étranges, pas d’effets spéciaux délirants à chercher ici) que dans son côté thriller désespérément attendu.
« Estes s’amuse à organiser un montage alterné où le suspense au passé composé va conditionner l’issue du présent. »
Avec ses deux interprètes principaux, dont la connexion, rompue par un drame atroce, tient à un coup de fil à cheval sur deux temporalités, Estes tient le cœur de son intrigue, celui qui procure à Don’t let go ses scènes les plus réussies. Une discussion anodine dans un diner dans les premières minutes du film trouve un écho bien plus déchirant quelques temps plus tard, quand les deux personnages se tiennent face à face au même endroit, à deux semaines d’écart, l’un tentant de prouver à l’autre que l’impossible est bien réel. Estes s’amuse dans ce chaotique jeu de piste à semer indices révélateurs à contretemps, jusqu’à organiser un montage alterné où le suspense au passé composé va conditionner l’issue du présent. Un exercice de style qui doit malgré tout se reposer sur un wagon de clichés (deals louches dans un entrepôt, trahisons entre flics… rien que du réchauffé) qui nous détourne de l’intérêt essentiel du film et empêche d’approfondir la psychologie de ses personnages – il faut souligner à quel point l’exposition est bancale. Un éparpillement qui ne joue au final pas en faveur de Don’t let go, coincé dans un carcan de série B procédurale là où son duo cherchant à tout prix à vaincre le destin aurait suffi à nous passionner.