Vox Lux : bête (curieuse) de scène
Faux biopic, Vox Lux imagine la vie d’une popstar enfantée par une tragédie, jouée par Natalie Portman. Un drôle d’objet conceptuel, qui ne laisse pas indifférent.
Quand on vous promet un biopic (fictif, certes) sur une star de la pop empruntant autant à Lady Gaga qu’à Britney Spears (excentricité, toxicité, abus de substances illicites et statut d’icône inclus), la dernière chose qui traverse votre esprit est la possibilité que le film s’ouvre sur un massacre d’adolescents perpétré par un élève dans un lycée américain. Et pourtant, c’est sur ce « prologue » fondateur que s’ouvre Vox Lux, deuxième long-métrage du comédien devenu réalisateur Brady Corbet (on lui doit déjà L’enfance d’un chef, toujours inédit en France) passé par la Mostra de Venise et resté inédit depuis 2018, excepté une diffusion sur Canal+. Une tuerie qui en évoque une autre, celle de Columbine (les deux ont lieu en 1999) et place d’emblée Vox Lux dans la catégorie des films mortifères, quelque part entre l’esthétique indé inquiétante d’un Gus Van Sant et le dolorisme verbal et physique d’un Lars Von Trier. Le tout avec des compos de Sia, puisque, remember : c’est l’histoire d’une popstar !
Entre le ciel et l’enfer
Cette popstar a un nom, Celeste, et elle n’a que 14 ans (et les traits de Raffey Cassidy, découverte dans A la poursuite de demain) quand l’Amérique la découvre, rendant hommage à ses camarades d’une voix puissante lors d’une veillée funèbre. Celeste est une survivante, littéralement, et sa chanson enflamme le coeur et l’imagination du pays, nous raconte la voix off (Willem Dafoe !). Elle et sa soeur, qui compose la musique avec elle, sont bientôt encadrées par un manager aigri (Jude Law), d’autant plus glauque qu’il finira par coucher avec chacune d’entre elles. La carrière de Celeste sera lancée, maison de disque à l’appui au même moment qu’un autre traumatisme national : le 11 septembre 2001. Divisé en deux chapitres, Vox Lux fait un grand bond en avant, pour capturer une journée de Celeste (désormais Natalie Portman, fringuée en goth’n’roll et déchaînée), mégastar enfermée dans un hôtel avant un grand show new-yorkais et forcée de s’exprimer sur un attentat dont les auteurs portaient un masque tiré d’un de ses clips – vous le voyez, le fil rouge ? Celeste a aussi une fille ado, jouée par… Raffey Cassidy, des problèmes d’alcool, d’équilibre émotionnel et de drogue. En gros, c’est une épave, dont la seule planche de salut, qui est aussi sa croix et son fardeau, reste la scène.
« Sous-titré « portrait du XXIe siècle », Vox Lux pêche sans aucun doute par excès d’orgueil. »
Combinant parabole culturelle et autopsie d’une société américaine broyant, dans sa violence intrinsèque comme dans ses excès d’idolâtrie numérisés, les âmes les plus pures, Vox Lux pêche sans aucun doute par excès d’orgueil. Le film est sous-titré « portrait du XXIe siècle », rien que ça, et porte plusieurs stigmates garantissant que l’on a affaire à un film de petit malin : Corbet glisse entre autres un générique de fin lugubre au bout de deux minutes… ce qui n’empêchera le film de se terminer avec le même générique. Corbet est ambitieux, mais chaque parallèle dressé entre la vie de la fictive Celeste et les soubresauts tragiques de notre époque (terrorisme ou tueries incompréhensibles, la mort frappe ici à l’étranger comme à domicile, sans distinction) enfonce avec une subtilité de videur de boîte de nuit un message alarmiste sur notre incapacité à conserver notre innocence intacte. La performance outrancière de Portman n’est, dans ce cadre, pas si étonnante : ça n’est pas un hasard si la même actrice, jouant le personnage jeune puis sa descendance, lui fait face, comme un miroir immaculé de ses années pré-gloire. Vox Lux cherche le contraste dans la surenchère, et du sens dans l’hystérie. Nous peinons toutefois à comprendre le but de cette deuxième partie pleine de bile, où la traditionnelle déchéance morale d’une star est montrée dans toute son éprouvante banalité. Vox Lux se termine avec un long concert, où une Portman engoncée dans une tenue argentée échappée de Broadway enfile un chapelet de pop-songs anonymes loin de l’émotion brute des débuts, sur des chorégraphies sautillantes à la Madonna de son Benjamin Millepied de mari. Là encore, Corbet cherche une dernière fois le contraste, l’opposition – et si, comme le propose le narrateur, Celeste avait vendu son âme au diable pour survivre et devenir célèbre ? Et si Celeste, c’était nous ? Et si non ? À vrai dire, on cherche encore le sens profond de Vox Lux…