Wonder Woman 1984 : le blues de l’Amazone
Catapulté en vidéo après un long feuilleton économique, Wonder Woman 1984 ressemble à un incident de parcours pour la nouvelle franchise dorée de DC Comics.
Destin contrarié que celui de Wonder Woman 1984, suite attendue de l’un des rares blockbusters du DC Universe à avoir fait à peu près l’unanimité auprès du public (malgré ses évidents défauts, à commencer par un dernier acte complètement raté), en plus d’avoir fait un triomphe au box-office. Un succès qui a été un jalon pour l’évolution féministe du genre super-héroïque, puisque les aventures de Gal Gadot prouvaient une bonne fois pour toutes qu’une production de ce genre portée par une femme pouvait tout aussi bien fracasser le plafond du milliard de recettes mondial que celles de ses congénères bodybuildés. Le Covid étant passé par là, le nouvel opus de la franchise a été brinquebalé comme rarement d’une date de sortie à une autre (à ce stade, seul Mort sur le Nil, repoussé déjà cinq fois, a fait mieux) : il était inconcevable qu’une production de cette ampleur fasse l’impasse sur une distribution en salles. Mais la Warner a fini par plier, et si les USA ont eu droit à des projections en décembre dans les rares cinémas alors ouverts, en France, c’est à une punitive sortie direct-to-video qu’a été réduit, après de longues tergiversations, le nouveau film de Patty Jenkins.
Une aventure (très) colorée
Diana Prince (Gal Gadot), près de soixante ans après les évènements du premier film, vit sous sa double identité dans les années 80 de Reagan, faisant régner timidement la justice dans les malls tout en travaillant dans un institut d’archéologie avec la maladroite Barbara Minerva (Kristen Wiig, aux mimiques très typées années 90). Imperméable au temps, la super-héroïne se languit de la disparition de Steve Trevor (Chris Pine), son bien-aimé, une perte qui va jouer un rôle déterminant après la découverte d’une relique magique, dont le pouvoir est, comme la lampe d’Aladdin, d’exaucer tous les vœux. Un trésor qui pourrait tomber entre de mauvaises mains, celles de Maxwell Lord (Pedro Pascal, en surrégime complet), un ambitieux escroc au bord de la ruine, qui connaît bien les secrets de la fameuse relique…
« La fraîcheur indéniable du premier opus laisse la place à un passéisme dégoulinant. »
Nous ne saurons jamais quels auraient été les chiffres de fréquentation d’un film comme Wonder Woman 1984 s’il avait pu surmonter la période de fermeture prolongée des cinémas français. La réputation du long-métrage (et son piratage inévitable, sortie sur HBO Max oblige) était faite depuis des mois quoiqu’il arrive. Difficile de tourner longtemps autour du pot : c’est une amère déception, d’autant plus criante et visible que dans le rôle-titre, Gal Gadot apporte toujours ce charisme, cette stature et cette présence indéniable qui compensent un jeu parfois très limité. Elle EST Wonder Woman, pour la quatrième fois à l’écran, et cette assurance permet au moins de trouver de l’intérêt à ce personnage d’Amazone immortelle à l’indéboulonnable bonne volonté. Patty Jenkins ouvre pourtant son film avec un prologue (manifestement tourné en Imax) assez grisant retournant le temps d’une séquence sur l’île natale de Diana Prince, pour des Olympiades saugrenues mais décapantes dans une arène colorée. Une ouverture galvanisante, dont l’énergie ne dure qu’un temps : dès que l’action s’installe dans les années 80 (à la mode dans toute la pop culture, mais on cherche malgré tout l’intérêt de situer l’action à cette période, hormis pour en critiquer le capitalisme délirant et faire écho à la présidence Trump), le soufflé retombe, petit à petit, l’action mettant un temps fou pour se mettre en marche. Vous a-t-on déjà dit que WW84 dépassait les 2h30 de métrage ? Cela n’est pas rédhibitoire en soi, mais rarement intrigue si téléphonée et parsemée de lieux communs n’aura été étirée sur une si longue durée.
Entre kitsch et naïveté
Wonder Woman 1984, visiblement fasciné par l’esprit du Superman de Richard Donner, déroule une aventure qui se veut idéaliste et féministe à tout prix. Si l’intention est louable, les gros sabots employés pour montrer à quel point Diana et sa future nemesis Barbara sont des femmes indépendantes qui peuvent se rebeller contre le patriarcat et l’avidité des hommes annihilent bien vite le capital sympathie du projet. On se croirait plutôt revenu dans une autre décennie, les années 90, quand le genre se cherchait et que les CGI criards, les dialogues manichéens dignes d’une pièce d’école primaire et les clichés les plus binaires (Barbara, par exemple, est une nerd maladroite quand elle porte des lunettes et une bombe sexy dès qu’elle met une robe) pullulaient dans un emballage au mauvais goût spectaculaire. Caviardées de faux raccords, éclairées comme une pub de produit laitier et cadrées en dépit du bon sens, les rares scènes d’action sont à peine sauvées par des money shots (Wonder Woman s’accrochant littéralement aux éclairs, pure idée folle de comic book) éventés depuis bien longtemps par les différents trailers.
Cette facture technique monstrueusement inégale (sincèrement, la Cheetah numérique du dernier acte est une horreur, digne de l’espèce d’immondice qui clôturait Batman V Superman) serait pardonnable si le scénario, coécrit par Jenkins, n’était pas aussi erratique et confondant de maladresse. Les pouvoirs de Wonder Woman sont introduits de manière arbitraire, ce qui n’est rien comparé à ceux de la relique sacrée, dont le « mode d’emploi » évolue au gré des besoins du script, ce qui débouche notamment sur l’apparition en mode body snatcher de Chris Pine. L’acteur apporte certes du piment et une alchimie avec Gadot vitales au film, sans jamais que sa présence soit pourtant justifiée, à part pour quelques gags temporels vite oubliés. Diana Prince est une femme forte, mais elle ne peut (pendant deux heures au moins) vaincre l’avidité et la jalousie qui rongent la planète, parce qu’elle ne se remet pas d’un amour perdu il y a plus d’un demi-siècle ? Voilà un contresens qui ne pardonne pas. Passons enfin sous silence le climax spongieux, qui confond optimisme et naïveté, Wonder Woman 1984 clignant ensuite lourdement de l’œil à la série télé, comme pour signifier une prise de flambeau que personne ne demandait vraiment. La fraîcheur indéniable du premier opus laisse la place à un passéisme dégoulinant qui s’imagine être relevant avec notre époque actuelle, mais laisse surtout l’impression tenace d’un déraillement artistique de grande ampleur.