Peut-être parce qu’il est toujours plus facile de critiquer en long et en large ce que l’on déteste, la sortie en mars de Batman v Superman : l’aube de la Justice a été l’occasion d’assister à un bashing, sur Internet et dans la presse, à la violence proportionnelle aux attentes placées dans cette franchise. Malgré le « presque » milliard de recettes, la confirmation que Ben Affleck était bel et bien installé sous le masque du Dark Knight pour quelques années à venir, le constat est venu doucher quelque peu les espoirs de Warner Bros et DC Comics : BVS va rester dans l’Histoire comme un échec critique, une sortie de route qui entraîne de massifs réajustements dans leur futur univers étendu. Qu’il s’agisse des reshoots (certains parlent plutôt de remontage) de Suicide Squad et du marketing réorienté vers le fun plutôt que le côté « adulte », du teaser maladroitement comique de Justice League, ou du Wonder Woman aux recettes visiblement calquées sur le premier Captain America, Batman v Superman est devenu à son corps défendant l’exemple à ne pas suivre pour les pontes du studio.

Montage chaotique… et trop-plein de personnages

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De fait, Zack Snyder a quelque peu loupé le coche en orchestrant ce face-à-face titanesque, qui devait être une « simple » suite à Man of Steel avant d’être gonflé artificiellement en proto-Avengers plus sombre, pour contrer le concurrent Marvel. Dans son montage cinéma, de 2h30 tout de même, BVS relègue, contre toute attente, Superman au rang de personnage secondaire. Noyés dans la masse d’une intrigue labyrinthique fuyant de tous bords, le héros de Krypton et son alter ego Clark Kent (dont on pensait encore une fois qu’il serait démasqué dès le premier épisode, mais passons…) arrivent et repartent de l’écran sans que l’on ait l’impression qu’ils influent véritablement sur l’histoire. Le véritable anti-héros de l’affaire, c’est Bruce Wayne / Batman, incarné par un Ben Affleck bodybuildé et affligé de la même constipation faciale de circonstance que son partenaire Henry Cavill. Snyder a souvent rappelé que le Dark Knight Returns de Frank Miller était une influence essentielle de BVS, et il est vrai que cette version vieillissante, aigrie et sociopathe du justicier masqué est assez fidèlement reproduite à l’écran. Le problème, c’est que Batman est lui aussi plus ou moins dépossédé de son propre film : le montage erratique de la version salles en fait un témoin involontaire des agissements de Superman, avant de le transformer sans plus d’explications en renégat bourrin et réactionnaire.

[quote_center] »Le director’s cut de Batman v Superman fait enfin ressembler le scénario de Chris Terrio et David Goyer à quelque chose. »[/quote_center]

Nous le savons maintenant, Warner a commis une sacrée bourde en amputant le film d’une bonne demi-heure, restaurée à l’occasion de sa sortie en vidéo. De louables internautes ont d’ores et déjà disséqué, parfois au timecode près, les différences entre les deux versions, et le constat est unanime : le director’s cut de Batman v Superman fait enfin ressembler le scénario de Chris Terrio et David Goyer à quelque chose, en rétablissant un équilibre entre les différents personnages et sous-intrigues. Le prologue en Afrique devient plus cohérent, et impacte directement les décisions de Lois Lane, qui n’est dès lors plus seulement une potentielle victime en détresse. Kent fait enfin le boulot pour lequel Perry White le paie grassement, à savoir de l’enquête journalistique à Gotham, sur les agissements de Batman. Quant à Lex Luthor, si déplorablement joué par Jesse Eisenberg, son plan machiavélique pour faire s’affronter les deux légendes, devient, sinon crédible, tout du moins plus clair pour le commun des mortels, avec l’introduction de nouveaux personnages secondaires (un témoin manipulé, notamment) qui explicitent le complot mené contre Superman.

Duel au sommet (de la faute de goût)

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Bien entendu, qui dit scènes supplémentaire, dite de durée allongée à trois heures, et il est bon de préciser que Batman v Superman est, malgré l’esthétique très soignée et luxueuse de la mise en scène (chaque décor déborde de détails et de profondeur, et la diversité des choix chromatiques de Snyder laisse entrevoir un travail de direction artistique colossal), un ratage assez regrettable. Pataugeant dans une atmosphère solennelle pesante, thématiquement très chargée (les figures christiques et la justice expéditive obsèdent toujours autant Snyder), BVS souffre qui plus est de l’inclusion au forceps d’un troisième personnage, Wonder Woman, qui semble littéralement revenir d’un film pas encore sorti, d’un segment post-apocalyptique incompréhensible – désolé, s’il y a besoin de lire des comics pour comprendre un point de scénario, quelque chose cloche -, et du teasing le plus involontairement hilarant de l’histoire : le fameux Powerpoint animé de la Ligue des justiciers, envoyé par mail à une Wonder Woman en peignoir. Et encore, on passera sous silence la bataille finale contre Doomsday (un lointain cousin de l’Abomination de L’incroyable Hulk), magma numérique enfumé et imbitable, l’épilogue poussif avec Lex Luthor, ou le « Marthagate » qui a valu au film des moqueries complètement justifiées.

Les défenseurs du film ont pu quelques semaines après la sortie de BVS mettre ce mauvais accueil sur le dos d’un parti-pris pro-Marvel. En effet, Captain America : Civil War, troisième aventure de Steve Rogers et Avengers 2.5 officieux, a récolté de son côté des critiques pas loin d’être dithyrambiques, tout en atomisant lui aussi le box-office mondial. Tout aussi long, et pas forcément aussi léger que ses prédécesseurs (les frères Russo, toujours aux commandes de la franchise, avaient déjà imprimé une certaine ambiance parano sur Le Soldat de l’Hiver), Civil War n’en reste pas moins une production Marvel Studios. C’est-à-dire un film plus épique qu’incarné, qui paraît toujours plus forcé quand il s’essaie à un virage dramatique que lorsqu’il enchaîne les scènes d’action fun et les punchlines au second degré. Bref, l’antithèse visuelle et tonale parfaite de BVS, qui ne comptait en tout et pour tout qu’une – déplorable – blague en trois heures (« Elle est avec toi ? »), et déployait une imagerie gothico-dépressive bien adaptée aux tourments de Bruce Wayne.

Premier ou second degré ?

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Le fait que Civil War, malgré son scénario traitant d’attentats terroristes, de fichages abusifs et d’ingérence militaire, soit essentiellement plus fun, coloré et inoffensif que BVS était couru d’avance. Les deux studios, s’ils veulent occuper le même terrain commercialement parlant, n’ont tout simplement pas choisi la même approche. Il est tout à fait possible, soit dit en passant, d’adhérer aux deux… si tant est que leurs qualités respectives soient réelles. Le faux climax sur le tarmac d’aéroport de Civil War, bien que crétin par bien des aspects, procure une véritable et infantile euphorie, due au fait que ces super-héros ont été patiemment (et parfois mal) installés, et que l’énergie un peu chaotique de leurs affrontements retranscrit bien celle de leur équivalent papier. Dans BVS, l’affrontement entre super-héros se résume à un festival de tôle froissée, de murs démolis et de poings dans la tronche, comme s’il s’agissait d’un match de catch entre surhommes. Snyder cherche moins à chorégraphier le duel entre Sup’ et Bat’ qu’à symboliser la lourdeur de leur colère.

En fait, là où Civil War traite les super-héros pour ce qu’ils sont (des personnages de BD, vivant des aventures surréalistes et manichéennes), BVS veut en faire des demi-Dieux déchus, alors qu’il ne s’agit à l’écran que d’un type en armure métallique avec de fausses oreilles et d’un autre en Spandex moulant. Ce ton de thriller dépressif à la David Fincher / Christopher Nolan cadre mal avec les passages obligés du genre (un Luthor de carnaval, une guerrière amazone avec un bouclier magique, un monstre venu d’une autre dimension), et débouche sur un film qui tire abusivement en longueur, et qui ne sait visiblement pas sur quel pied danser. Quels que soient les défauts que l’on peut trouver à Civil War (qui se préoccupe lui aussi beaucoup trop d’installer ses futures franchises – Spider-Man, Black Panther – au détriment de l’unité de ton et de son personnage-titre, et refuse toujours de prendre totalement au sérieux ses enjeux dramatiques), il reste impossible de nier la limpidité du produit fini. Avec ou sans director’s cut, Captain America se suit sans effort de compréhension – ce n’est sans doute pas une qualité, c’est sûr -, et propose quelques morceaux de bravoure à même de justifier une seconde vision, comme cette poursuite à moto entre Bucky Barnes et le Cap’, ou le combat final à trois en plan large, d’une intensité palpable et surtout lisible. Les frères Russo n’ont rien d’esthètes pop, et peu de plans peuvent prétendre à l’efficacité iconique d’un Snyder passé maître dans cet art. C’est une évidence, mais au visionnage, c’est bien Captain America qui remplit le mieux son contrat, là où Batman v Superman demeure une incompréhensible et déplaisante déception.


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Deuxsurcinq

Batman v Superman : l’aube de la Justice (Dawn of Justice)
De Zack Snyder
2016 / USA / 151 / 183 minutes
Avec Ben Affleck, Henry Cavill, Gal Gadot
Sortie le 23 mars 2016
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Quatresurcinq

Captain America : Civil War
De Joe et Anthony Russo
2016 / USA / 147 minutes
Avec Chris Evans, Robert Downey Jr., Anthony Mackie
Sortie le 27 avril 2016
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