Shadow in the Cloud : vol direct pour le fun
Assumant jusqu’au bout son concept de huis-clos aérien, Shadow in the Cloud s’avère être un petit bijou de série B rétro.
La période prolongée de fermeture des salles de cinéma nous a privé de nombreux frissons, parmi lesquels celui de découvrir dans un festival un film comme Shadow in the Cloud. Le 7e art est indubitablement une expérience collective, mais soyons pragmatiques : il n’y aurait eu aucune chance de découvrir en France le long-métrage Roseanne Liang ailleurs que dans une manifestation spécialisée. Et quel ride magnifique cela aurait été ! Sous ses airs d’œuvre féministe en diable au postulat incongru (l’ex-ado vengeuse de Kick-Ass costumée en aviatrice aux boucles blondes dans un avion de la Seconde Guerre Mondiale ?), Shadow in the Cloud brasse des concepts ingénieux, témoigne d’une audace folle et d’une croyance assez rafraîchissante dans la force du récit fantastique.
SOS femme en péril
Retour en 1943 donc, en pleine guerre du Pacifique. Sur le tarmac humide d’un aéroport militaire de Nouvelle-Zélande, l’officier de l’armée de l’air Maude Garrett (Chloe Grace Moretz, également coproductrice) embarque avec un petit colis mystérieux à bord d’un bombardier en direction des îles Samoa. Malgré un ordre de vol signé de son commandant, les pilotes et l’équipage exclusivement masculin de l’avion voient d’un mauvais œil l’arrivée de cette femme sortie de nulle part. Entre misogynie crasse et superstition rétrograde, Maude en voit rapidement de toutes les couleurs, et se voit obligée de s’installer dans la tourelle inférieure pour toute la durée du vol. Cantonnée dans cette bulle d’acier à la solidité toute relative, la jeune femme continue d’essuyer par radio interposée un torrent de remarques lubriques, mais le sexisme ambiant devient bientôt le cadet de ses soucis : elle aperçoit depuis son siège des avions japonais et une bestiole indescriptible est visiblement en train de grignoter l’aile de l’appareil…
« Le sexisme ambiant devient bientôt le cadet des soucis de l’héroïne. »
Ceux qui se souviennent de l’épisode Cauchemar à 20 000 pieds de La Quatrième dimension, ainsi que de La Mascotte, épisode réalisé par Steven Spielberg pour la série Histoires Fantastiques, auront un pincement nostalgique au cœur en découvrant ce qui peut être décrit comme un parfait amalgame entre les deux histoires. Imaginé par Max Landis, fils de John et enfant des années 80 (banni à juste titre de Hollywood après de multiples accusations d’agression sexuelle), le pitch de Shadow in the Cloud concrétise également l’histoire racontée par Dick Miller dans le Gremlins de Joe Dante. Maude Garrett se retrouve en effet confrontée à un gremlin, nom donné à ces créatures ailées qui selon les superstitions des mécanos de l’armée pendant la Seconde Guerre Mondiale, étaient responsables des avaries techniques de leurs avions. Roseanne Liang ouvre d’ailleurs son film avec un cartoon savoureux sur ces bestioles folkloriques, symbole selon l’armée des défaillances humaines qu’il fallait absolument éradiquer. La bête de Shadow in the Cloud n’a toutefois rien d’une allégorie et transforme rapidement ce qui devait être un film de guerre conceptuel (l’action est confinée pendant une bonne partie du métrage à la tourelle exiguë dans laquelle se débat Chloe Moretz) en aventure fantastique débridée, troquant peu à peu le suspense et l’angoisse de l’enfermement contre un empilement de scènes d’action faisant fi de la gravité et de la vraisemblance.
Malin et renversant
La grande force de Shadow in the Cloud, dont le script s’est enrichi au fil des réécritures de Roseanne Liang, réside dans la manière dont les enjeux narratifs et thématiques s’entremêlent et se nourrissent les uns les autres. La menace autour de la frêle, mais indomptable Maude Garrett, par exemple, change constamment de nature, de la bande d’hommes qui la rabaissent et la conspuent dans son casque, comme autant de voix jaillissant littéralement de sa conscience, aux avions japonais qui surveillent puis attaquent l’aéronef, en passant bien sûr par le gremlin, qu’elle est la seule à apercevoir. Dans chacun des cas, c’est à l’héroïne de prendre les choses en main, en surmontant ses craintes pour franchir ces obstacles et pratiquer la convergence des luttes (l’introduction d’un copilote d’origine aborigène permettant de souligner le racisme exacerbé des militaires). La double révélation qui explique les raisons de sa présence dans l’avion, ensuite, lui donne encore une nouvelle dimension : sa résilience trouve une justification limpide et permet d’extirper le personnage du cliché de femme badass surfant vaguement sur une réalité historique (il y eut bien des femmes pilotes dans l’armée pendant cette Guerre, même si elles se voyaient rarement confier le commandement d’une mission).
Mais Shadow in the Cloud, malgré ce post-modernisme dans l’air du temps que l’on pourrait qualifier de woke, se savoure au-delà de cette ambition scénaristique comme un vrai plaisir de série B décomplexée. Un film ingénieux, trépidant, qui semble à l’écran avoir coûté cinq fois plus que son budget, qui mitraille, bastonne et éructe des punchlines à tour de bras tout en accumulant les rebondissements comme à Noël, le tout en moins de 90 minutes montre en main. De quoi donner des envies d’un vol retour !