The Empty Man : une graine de film culte ?
Catapulté sans bruit sur Disney+, The Empty Man a tous les ingrédients du film maudit, mais passionnant à décrypter.
Des anciens flics endeuillés et inconsolables, le cinéma nous en a présenté beaucoup, mais peu arborent un air aussi somnambulique et désemparé que James Lasombra (l’excellent James Badge Dale, à qui l’on offre encore trop peu de premiers rôles). James traîne son vide intérieur péniblement jusqu’à ce que son ancienne maîtresse lui demande de l’aide pour retrouver sa fille, mystérieusement disparue depuis peu avec cinq de ses camarades. La lycéenne et ses amis avaient apparemment joué une nuit sur un pont à se faire peur avec la légende urbaine de « l’homme vide ». Appelez-le en soufflant dans une bouteille vide et il viendra à vous au bout de trois jours… mais pas pour faire des câlins. Un mythe peut-être, mais qui prend vite une tournure tragique et personnelle pour James, qui s’enfonce dans une enquête aux relents apocalyptiques et sectaires. Une histoire familière, sur le papier peut-être, mais vous a-t-on dit que l’histoire commençait des années plus tôt sur les hauteurs du Bhoutan, avec la mésaventure de quatre randonneurs malchanceux ?
Pour évoquer un film comme The Empty Man il faut d’abord revenir sur les circonstances qui précèdent son arrivée discrète en France sur Disney+ (via son portail « adulte » Star), une douce hérésie au vu du public visé par le long-métrage. The Empty Man est un projet cher au cœur de son scénariste et réalisateur David Prior, qui a fait ses armes dans la réalisation de making of pour le compte de la Fox (son premier boulot était sur ce chef-d’œuvre qu’est Vorace). Un boulot qui l’a amené à faire ami-ami avec David Fincher, qu’il suivait logiquement sur le tournage de ses films et à qui il a demandé un petit coup de main lorsqu’il a fallu transformer son script, adapté librement de la BD du même nom, en film pour la 20th Century Fox justement.
Une anomalie de studio
Ce feu vert pour un tournage en Afrique du Sud date de 2016. Cinq ans se sont déroulés depuis un tournage peu épargné par les aléas climatiques, au cours desquels Prior s’est débattu dans l’enfer des projections-test, se faisant déposséder à un moment de son film avant d’avoir finalement la permission de le monter comme il l’entendait. Le rachat de la Fox par Disney a scellé le statut maudit de The Empty Man, condamné à dormir sur les étagères puis baladé d’une date de sortie à l’autre jusqu’au Covid, qui lui a été fatal. Aux USA, le film est expédié sur 2 000 écrans en pleine pandémie, précédé une semaine avant (!) d’une désastreuse bande-annonce puis, donc, distribué chez nous sur une plate-forme plus habituée aux productions familiales qu’aux thrillers horrifiques nihilistes lovecraftiens. C’est le point final d’un périple absurde et sans fin, qui confère cependant une dimension supplémentaire au plus curieux et anti-conventionnel des films fantastiques de studio que l’on ait croisés depuis longtemps.
« Plus la classique trame policière entourant James Lasombra avance, plus le spectateur perd pied. »
Cela vaut déjà bien sûr pour la structure très particulière du film, d’une longueur inhabituelle (2h17, une durée que Prior n’a pas eu l’autorisation de raccourcir lui-même) pour un film de genre de ce style, et qui s’ouvre sur un prologue sauvage de 20 minutes à l’autre bout du monde, mini-survival montagnard touchant à l’horreur cosmique qui ne sera raccroché à l’intrigue principale qu’après de longues circonvolutions narratives. Cette narration justement semble s’enrouler sur elle-même dans une histoire qui se montre bien vite plus sophistiquée et méandreuse qu’elle n’y paraît. The Empty Man n’a rien du sous-Candyman, du sous-Truth or Dare que son trailer mensonger voudrait vendre. La légende en question a beau avoir les apparences d’une comptine effrayante façon Freddy, elle n’est qu’une porte d’entrée vers des concepts surnaturels bien plus intangibles, insidieux et donc inquiétants. Plus la classique trame policière entourant James Lasombra avance, plus le spectateur perd pied. Institut fumeux aux sombres desseins, exécutions d’adolescentes, manipulations échevelées…
Des visions saisissantes
L’influence qu’a pu avoir le mentor Fincher sur le style de Prior est manifeste, tant The Empty Man fonctionne à la manière d’un cauchemar fiévreux aux splendides images torturées. Il rappelle l’enfer terrien de Seven, mais aussi à Shyamalan et à Ari Aster (Hérédité) dans cette façon qu’a Prior de convoquer des visions immédiatement saisissantes (un dangereux sabbat nocturne, un squelette non identifié au fin fond de l’Himalaya, l’intimité d’une chambre d’hôpital où se joue la fin du monde) dont le côté sophistiqué appelle pourtant à leur appliquer différents niveaux de lecture. The Empty Man retombe à peine sur ses pieds lors de son vertigineux climax, qui peut tenir autant de l’escroquerie que du coup de génie selon le crédit que l’on accorde à son auteur.
Mais, et c’est assez rare pour être en soi un plaisir, il procure aussi un besoin immédiat de repenser ce que l’on vient de voir, d’approfondir même les idées ésotériques que le script explore avec audace (un seul mot : tulpa). Bancal, imparfait, mais bien plus engageant sur la durée que la plupart des productions horrifiques standardisées actuelles dans le cinéma américain, The Empty Man inonde son public de mystères, de non-dits et de scènes à double sens qui appellent une seconde vision. Si possible avec des innocents non avertis, histoire de vérifier sur pièces que le pouvoir de fascination de cet étrange film sacrifié est bien contagieux.