Comment je suis devenu super-héros : un honorable effort tricolore
Rare tentative de conjuguer le genre super-héroïque à la française, le film de Douglas Attal divertit sans jamais vraiment emballer.
L’histoire de Comment je suis devenu super-héros est celle d’un rendez-vous manqué avec la salle. Ce premier long-métrage conçu avec amour, beaucoup de patience et pas mal d’acharnement par Douglas Attal, avait pour ambition de donner au public français un film de super-héros pleinement sincère par rapport au genre. Ni dédaigneux, ni fauché, ni gênée : une proposition assumée de rappeler à chacun que la France était l’un des précurseurs littéraires des histoires de justiciers masqués (Judex existait bieeen avant Superman) et que le divorce de la pop culture francophone d’avec les aventures héroïques bariolées n’était pas une fatalité. Le Covid, et peut-être une certaine frilosité des producteurs, en a finalement décidé autrement, et c’est en ce début de mois de juillet – alors que les cinémas ont rouvert leurs salles à 100 %, cruelle ironie – que Comment je suis devenu super-héros montre son nez sur Netflix. Un destin regrettable, mais finalement pas si incohérent, le film, qui semble presque conçu comme le pilote, ou le premier acte, d’une possible franchise, épousant en fait les codes feuilletonnants de la série télé, comme des comic books dont il s’inspire.
Bienvenue à super-Paris
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Comment je suis devenu super-héros n’adapte pas une BD, mais un roman homonyme de Gérald Bronner, paru en 2007. Il transpose à l’écran la même histoire, celle d’un lieutenant de police expérimenté, mais blasé, David Moreau (Pio Marmaï, au timing comique et lunaire idéal) menant l’enquête dans une société parisienne où les super-pouvoirs sont devenus monnaie courante, comme dans les comics Powers ou Top 10. Et qui dit pouvoirs dit criminalité d’un autre type, ce qui est la spécialité de Moreau. À cause de son manque de résultats, son supérieur lui adjoint une partenaire, Schaltzmann (excellente Vimala Pons, Les garçons sauvages, La fille du 14 juillet), qui ignore que Moreau a longtemps travaillé avec les super-héros du « pack Royal », dont Monte Carlo (Benoit Poelvoorde !) et Callista (Leila Behkti), qui se sont retirés de la circulation. Ensemble, ils vont devoir remonter la trace d’un réseau de trafiquants qui fait circuler auprès des jeunes une substance procurant temporairement des super-pouvoirs destructeurs…
« L’application d’Attal à construire un univers à la fois réaliste et formidable se traduit en contrepartie par une vraie timidité en matière de mise en scène. »
Si l’on met de côté la ressemblance fortuite, mais gênante de cette histoire avec le pitch du pachydermique Project Power (une production… Netflix), Comment je suis devenu super-héros se vit globalement comme une expérience assez grisante parce qu’inédite dans nos contrées. Exceptée la série semi-parodique Hero Corp, il y a eu peu d’occasions, nous l’avons rappelé, de croiser des héros costumés dans un contexte aussi familier que les rues de Paris. C’est pourquoi la vision d’un Benoit Poelvoorde en téléporteur bedonnant et maladroit, de jeunes désœuvrés faisant des kameha enflammés à l’ombre du périphérique ou d’un Clovis « Gigaman » Cornillac tirant des éclairs avec ses yeux sur le toit d’un HLM fait un drôle d’effet, dans un contexte où le genre semble surreprésenté sur nos petits et grands écrans. Ce côté rafraîchissant, Douglas Attal en joue intelligemment, intégrant à son cocktail de pop culture une trame de film policier basique, arrosé d’une pointe de commentaire social en montrant les dommages collatéraux de la super-drogue sur la jeunesse parisienne. Rien de bien original de ce côté, surtout au niveau des dialogues qui ne dépareilleraient pas dans un téléfilm policier du jeudi soir. Mais ce décorum familier, gentiment pantouflard, permet de souligner avec d’autant plus de clairvoyance l’extraordinaire de l’irruption du fantastique. Une méthode employée il y a 20 ans de cela avec une virtuosité inégalée par M. Night Shyamalan dans Incassable, l’une des influences déclarées du réalisateur, et récemment reprises avec un résultat probant par l’italien On l’appelle Jeeg Robot.
Une expérimentation qui a ses limites
Plus terre-à-terre que ses congénères américains, Comment je suis devenu super-héros a toutefois les défauts de ses qualités : chiche en action, le film doit s’appuyer sur le faible potentiel de son vilain principal, qu’un Swann Arlaud né pour ce genre de rôles ne parvient pas à faire exister au-delà de ses gimmicks étranges (il adore les toupies ! Tremblez !). L’application d’Attal à construire un univers à la fois réaliste et formidable se traduit en contrepartie par une vraie timidité en matière de mise en scène : à plusieurs reprises, le concept de certaines scènes était plus excitant sur le papier ou dans le storyboard que le résultat l’est à l’écran. La rencontre en flash-back de Moreau avec le pack Royal, d’un statisme presque ridicule, en est un exemple flagrant. Peut-être rattrapé par ses limites du moment, budgétaires et autres, Douglas Attal ne donne pas la fougue attendue à un récit balisé, prévisible, qui paraît aussi s’arrêter en plein vol : le climax ressemble à la conclusion d’un premier acte introductif plutôt qu’à celui d’un grand spectacle digne de ce nom. Une porte ouverte à de possibles séquelles, bien sûr, mais cela reste un choix risqué tant le film a tout d’un prototype fragile, tentant de convaincre les réticents (et ils sont nombreux) de la pertinence d’un genre super-héroïque à la française. Netflix viendra-t-il à son secours pour que la suite des aventures de David Moreau voit le jour ?