La bataille de l’Escaut : l’estuaire le plus long
Episode militaire méconnu, La Bataille de l’Escaut plonge dans l’histoire des Pays-Bas avec des moyens spectaculaires.
C’est toujours au moment où l’on pense avoir tout lu, tout vu sur la Seconde Guerre Mondiale que débarque un ouvrage ou un film nous rappelant que cette période dramatique de l’Histoire est composée d’une myriade de récits collectifs, individuels, militairement stratégiques ou dérisoires. Des moments où quelle que soit sa nationalité, chacun a eu à prendre des décisions cruciales, cornéliennes, impossibles et à choisir le camp de la liberté ou de l’oppression. S’ils semblent bien fictifs tout en s’insérant dans une trame narrative basée sur les faits historiques, les héros de La bataille de l’Escaut, grosse production néerlandaise (la deuxième plus chère de l’histoire des Pays-Bas pour être plus précis) rachetée par Netflix pour son exploitation mondiale, sont confrontés tout au long du film à ce type de choix douloureux.
Canal historique
Nous sommes à l’automne 1944 et après le débarquement des troupes Alliées en Europe, l’armée allemande est contrainte de céder le terrain en France, puis en Belgique. L’avancée des Américains, Anglais et Canadiens est inexorable, mais va buter sur un front tenace aux Pays-Bas, après la libération d’Anvers. Pour ouvrir l’accès à l’estuaire et au canal de l’Escaut, et faciliter les ravitaillements par la mer, une opération militaire massive, Market Garden, est engagée (elle est évoquée également dans le classique Un pont trop loin). La bataille de l’Escaut suit dans ce contexte trois jeunes personnages complètement opposés, qui vont se retrouver chacun sous le feu ennemi : un pilote anglais un brin insolent, fils d’un ponte de l’armée lâché dans les marais de la Zélande avec le Tom Felton des Harry Potter en protecteur ; une fille de médecin qui découvre que son pauvre frère fait partie de la Résistance hollandaise ; et un soldat aux faux airs de Gael Garcia Bernal, hollandais lui aussi mais combattant avec les nazis – et réalisant un peu tard qu’il a choisi le mauvais camp.
« Le trio de héros traverse une série d’épreuves qui font rarement dans l’originalité. »
Papillonner d’un personnage à l’autre pour mieux décrire l’ensemble du théâtre des opérations militaires – et civiles –, est une tactique classique du film de guerre. Le réalisateur Matthijs van Heijningen Jr. (on va l’écrire qu’une fois, hein), qui s’était fait connaitre chez nous avec le prequel / remake bien mal avisé de The Thing, profite des moyens conséquents qui lui ont été donnés pour multiplier les points de vue sur la bataille et ce qui la précède. La méthode est à double tranchant : le trio de héros, incarnés par des acteurs moyennement charismatiques et ayant souvent peu de profondeur à défendre, traverse une série d’épreuves et de prises de conscience qui font rarement dans l’originalité. Le scénario prend le parti de donner une importance égale à chacun des camps, mais se borne à les décrire dans le feu de l’action, sans qu’un dialogue plus éclairant ou pertinent qu’un autre vienne justifier ce mouvement de pendule permanent, qui casse à chaque transition l’élan épique, ou émouvant, ou angoissant né de la séquence précédente. Ces trois mini-récits qui finissent fatalement (et plutôt habilement) par s’entrecroiser devraient se compléter, mais la seule richesse que cette forme chorale apporte se situe dans l’opportunité donnée aux chefs décorateurs pour multiplier les tableaux de la Hollande occupée.
Une efficacité toute américaine
Des marais jouxtant une ville inondée où le danger continue de rôder, à une offensive aérienne massive dans laquelle des planeurs de combat font office de frêles refuges, en passant par la fameuse bataille sur la digue de l’Escaut qui occupe la dernière demi-heure du film, La bataille de l’Escaut manque peu d’occasions de flatter la rétine, si l’on aime les ambiances boueuses ton sur ton et les brouillards du petit matin. Le réalisateur fait preuve d’une efficacité toute américaine pour emballer les assauts meurtriers et les escarmouches qui ponctuent le récit, même s’il n’évite pas les longueurs à cause de lieux communs abondants et d’une absence relative d’originalité. On est loin par exemple du méconnu Insurrection, film polonais sur le ghetto de Varsovie, qui sur un point de départ similaire (une poignée de jeune héros déchirés par une bataille sans merci), marquait les esprits avec plus d’envie, d’exubérance et de passion. Sans démériter, loin de là, La bataille de l’Escaut demeure une timide œuvre mémorielle, scolaire et sans grande aspérité. Un récit de plus dans l’almanach sans cesse annoté de la Seconde Guerre Mondiale au cinéma.