Prisoners of the Ghostland : du bis au bizarre
Projeté dans l’univers punk de Sono Sion, Nicolas Cage ne peut sauver totalement ce Prisoners of the Ghostland excessif et longuet.
Même si les dernières années l’ont vu un peu lever le pied (au milieu des années 2010, il signait jusqu’à cinq films par an), Sono Sion demeure un cinéaste prolifique, dont l’œuvre déroutante, excitante, massive, continue d’être découverte de manière chaotique, tantôt sur Netflix (le récent The Forest of Love), Prime Video (l’interminable Tokyo Vampire Hotel) ou en festival (l’inédit Red Post on Escher Street), mais pratiquement jamais en salles. Bien qu’il s’agisse de son premier long-métrage semi-américain – même si le film a finalement été tourné au Japon – et qu’il compte pour la première fois dans sa carrière des stars américaines en tête d’affiche, Prisoners of the Ghostland n’échappe pas à la règle. Et comment le pourrait-il ? Loin d’avoir cédé aux sirènes de Hollywood, Sono Sion a plutôt repris à son compte l’idée d’un cross-over entre Japon et Amérique. Plutôt que de se déraciner, il préfère jouer à domicile, en programmant une grande partouze culturelle et conceptuelle, qui se vautre avec joie dans le grotesque et le non-sensique, parfois jusqu’au point de non-retour. Et ce n’est pas avec un acteur comme Nicolas Cage comme cobaye volontaire de ses festivités punkoïdes qu’il risque de s’assagir.
Action ou digressions ?
Bénéficiant d’un regain d’intérêt de la part des critiques et des exploitants (le curieux drame Pig a bénéficié, c’est une rareté, d’une distribution en salles, et le prochain The unbearable weight of massive talent y aura aussi droit), Nicolas Cage continue de fasciner les cinéphiles par l’abandon total au principe de « performance » qu’il promeut film après film. En d’autres termes, il n’a peur de rien, car il ne reconnaît pas l’existence du ridicule et préfère explorer, expérimenter, tester les limites (et la cohérence) du jeu d’acteur. Cage dans un film de Sono Sion sonne donc comme une évidence, mais, malheureusement, Prisoners of the Ghostland ne fait peut-être pas autant d’étincelles qu’il le devrait. L’histoire se déroule dans un indéfinissable no man’s land à cheval entre Orient et Occident : une petite ville aux allures de parc d’attraction western peuplé de geishas accros au téléphone, de samouraïs et de pistoleros est dominée par le Gouverneur (Bill Moseley) dont l’une des « filles », Bernice (Sofia Boutella) s’est enfuie vers le Ghostland, un territoire d’exclus en guenille. Le pas très bien nommé Hero (Cage), prisonnier du Gouverneur depuis qu’il a braqué sa banque, est sommé de ramener Bernice au bercail, sans quoi les mini-grenades disposées dans son costume de cuir moulant feront exploser ses bras, sa tête et… ses parties intimes. Au boulot, donc !
« Un faux film d’action où les concepts et les idées
valent plus qu’un scénario logique. »
De ce pitch simplissime à la Mad Max pourrait découler une série B sur laquelle Sono Sion plaquerait quelques extravagances dont il a le secret. Ce serait oublier que le réalisateur n’est pas, ne peut pas devenir, comme Takashi Miike l’est parfois, un joyeux mercenaire. Sion a la subversion dans la peau, à commencer par la subversion des attentes. Prisoners of the Ghostland n’est donc pas un film branque et pop tirant, de par son choc des cultures assumé, vers l’ersatz du Tarantino de Kill Bill (territoire emprunté par des titres comme, au hasard, The man with the iron fists), mais une véritable et inconfortable bizarrerie. Un faux film d’action où les digressions les plus folles finissent par dévorer la narration traditionnelle, où les concepts et les idées valent plus qu’un scénario logique, où l’overdose de happenings suicidaires, surtout, devient un geste artistique en soi. Apprécier le film à quelque niveau que ce soit demande d’être perméable à l’imaginaire de son auteur et chez le réalisateur de Love Exposure, ce n’est pas peu demander.
Un chaotique bric-à-brac
Bien sûr, les testicules en danger de Cage, ses combats au sabre approximatifs, sa petite course en vélo de fillette ou les répliques qu’il braille sans raison (« Je… Suis… Radioactif ! », confesse-t-il devant une assemblée circonspecte) suffisent à fournir aux fans de la star leur quota de scènes potentiellement cultes. Mais ces moments finalement attendus sont comme engloutis dans un bric-à-brac constamment au bord de l’implosion, aussi dantesque dans certains de ses décors (le Ghostland notamment, dominé par son « horloge de l’Apocalypse » renvoyant autant au traumatisme de Fukushima, toujours présent dans les obsessions de Sion, qu’à l’état de notre planète) que fauché façon bis rital dans d’autres. L’incohérence, le non-sens règnent en maître, le casting américain semblant jouer au premier degré un script que leurs camarades nippons ont déchiré depuis longtemps. Prisoners of the Ghostland est aussi coloré et surprenant, que désespérément statique et en quête de sens, entre dérapages comic-book et parenthèses théâtrales opaques. C’est une production bien dotée mais manifestement bricolée au jour le jour, loin d’être aussi organiquement cohérente et excitante que le Tokyo Tribe du même Sono Sion, basé de la même manière sur un concept d’univers post-apocalyptique. À voir en connaissance de cause, donc.