Chronologie des médias : enfin du changement
Voir les films plus rapidement sur Canal+ et les plateformes SVOD, c’est désormais une réalité : la nouvelle chrono des médias est là !
C’est une expression que même les internautes les moins férus de législation ont appris à connaître avec le temps : la chronologie des médias régule depuis des années la manière dont les films sortis en salles (et uniquement eux, ce qui nous amène finalement à être un peu hors sujet DTV pour cette fois) sont diffusés sur le petit écran, en organisant les fenêtres de diffusion de chaque medium. Le bouleversement lié à l’arrivée, puis la multiplication des plateformes SVOD était un événement que tous les acteurs (et ils sont nombreux) liés au secteur audiovisuel ne pouvaient ignorer.
Et pourtant : il aura fallu des années de bras de fer, de scénarios sans lendemain, de discussions ajournées et de menaces dans le vide de plusieurs ministres de la Culture, pour que finalement, ce lundi 24 janvier 2022, tout le monde – ou presque – finisse par s’asseoir autour d’une table et signe, sous le regard on l’imagine un brin fier de la ministre Roselyne Bachelot, un accord (le cinquième) définissant pour trois ans une nouvelle chronologie, moins figée et passéiste, qui contente – presque, nous le répétons – tout le monde. Il était temps : l’accord actuel datant de 2018 arrivait à échéance en février.
La SVOD passe devant les chaînes de télévision
Les détails sont, c’est une tradition en France, techniques et parfois brumeux, mais l’essentiel pour le public est là : la place de la SVOD dans les habitudes de consommation est désormais prise en compte, et les films sortis au cinéma sortiront plus vite sur Netflix et consorts qu’à la télévision hertzienne. Ce qui, dans le cas du leader du streaming par abonnement, est assez logique : près d’un Français sur huit aujourd’hui peut regarder des films sur Netflix, et ce chiffre augmente de manière vertigineuse si c’est le nombre de profils par abonnement qui est pris en compte. Faites le test avec n’importe quelle personne de moins de 25 ans : regarde-t-elle plus TF1/M6/la TNT ou Netflix ? Surtout, où cette génération va-t-elle chercher ses films, sachant que pour elle, la télévision est surtout synonyme d’horaires tardifs (et fixes) et de coupures pub à répétition ?
« Le nouvel accord, accouché dans la douleur, réussit a priori à trouver un bon équilibre entre tous ces usages. »
Concrètement, la nouvelle chronologie des médias, fixée pour une durée de trois ans (avec une clause de revoyure dans un an) se décompose comme suit, en prenant comme point de départ la sortie en salles d’un long-métrage :
- 4 mois après (ou 3 si le film fait moins de 100 000 entrées) : VOD, DVD, Blu-ray, Blu-ray 4K. Pas de changement de ce côté, la possibilité de sortir le film en VOD 45 jours après, à l’anglo-saxonne, ayant été écartée.
- 6 mois après : Canal+. Le groupe de Bolloré grignote un peu plus de terrain, en échange d’un investissement garanti de 600 M€ dans la production hexagonale. De 12 mois, la chaîne est passée à 8, puis désormais 6 mois pour diffuser petits et grand succès des salles obscures. The Suicide Squad par exemple pourrait arriver sur Canal+ dès la semaine prochaine.
- 15 mois après : Netflix. La plateforme américaine est la grande gagnante de cet pacte. Un an et trois mois, contre trois ans « d’attente » auparavant, cela va changer la donne pour le groupe, qui a signé l’accord en promettant de produire au minimum une dizaine de films à petit budget chaque année.
- 17 mois après : Disney+ et Amazon Prime Video. La fenêtre des 15 mois ayant été définie en fonction de l’investissement de Netflix dans la production, ses deux plus gros concurrents ont eu moins de bonus, même si le changement est là aussi significatif. Le groupe Disney, qui s’estime lésé dans l’affaire, a refusé de signer l’accord, mais appliquera tout de même ses règles (ils n’avaient qu’à donner plus de sous).
- 22 mois après : Les chaînes de télévision gratuites. TF1, M6, France Télévisions et les autres gagnent 8 mois dans ce nouvel accord, un resserrement logique puisque l’hertzien passe désormais après le streaming. Précision à retenir : les films diffusés en SVOD quitteront les plateformes pendant leur temps de diffusion à la télévision. Il va falloir être vigilant !
Accéder plus rapidement aux films de cinéma, contenter à la fois les acteurs historiques et les nouveaux mastodontes anglo-saxons du streaming illimité, conserver un cercle vertueux de financement de la création française (libre à chacun d’aimer ou pas ce qu’il en ressort, au moins cette culture existe)… Le nouvel accord, accouché dans la douleur, réussit a priori à trouver un bon équilibre entre tous ces usages, mettant fin à une forme d’absurdité légale qui générait autant d’incompréhension que de réflexes anticonsuméristes (en gros, le recours systématique au piratage) dans cette ère de l’immédiateté. Rendez-vous dans un an pour savoir si tout le monde sera encore content !