Egō : un œuf servi bien gore
Primé à Gérardmer, Egō met aux prises une famille proprette avec un monstre protéiforme. Petite série B, grandes actrices !
Même s’il reprend à son compte des éléments familiers du film fantastique (ou plus spécifiquement ici, du film de monstre), Egō est le genre de productions sorties un peu de nulle part, qui invitent à l’étonnement par leur cadre « exotique ». Ce premier long-métrage de la réalisatrice finlandaise Hanna Bergholm nous emmène en effet au cœur d’une banlieue chic et boisée de Helsinki, là où les enfants sont aussi blonds et blancs que le ciel est pâle. Une version scandinave des suburbs résidentiels et résolument inquiétants de la lointaine Amérique, que le film investit en quelques plans marqués par une esthétique télévisuelle d’abord assez rebutante.
C’est là que la jeune Tinja et sa famille vivent une « vie parfaite » comme le souligne le nom du blog tenu par sa mère, une blonde perfectionniste, vindicative et bien trop souriante. Blanchâtre, bling-bling, leur maison est un cauchemar bourgeois évident, qu’un corbeau entré par la fenêtre va bientôt chambouler. Après avoir cassé pas mal de verrerie, l’animal est occis par la mère, mais enterré par la fille dans la forêt toute proche. Tinja trouve là un œuf, qu’elle décide de ramener et de couver (oui, oui) dans son lit. L’œuf grossit, grossit… Jusqu’à faire éclore une créature aux allures de poulet déplumé croisé avec un raptor. Tinja et la bête développent rapidement un lien étroit, psychique, qui dérègle bientôt la vie de la famille et menace toute la communauté…
Ponte fatale à Helsinki
Au carrefour pas évident de la satire sociale (légère), de la comédie pince-sans-rire (pas de doute, nous sommes au pays de Kaurismaki après tout), du teen movie émouvant (nous ne sommes pas totalement là pour rigoler non plus) et de l’horreur cracra (nous y revendrons !), Egō est une curiosité qui ne passe pas inaperçue. Le film a tapé dans l’œil du jury du festival de Gérardmer, qui lui a remis son Grand Prix, et vaut bien mieux que son esthétique pas exactement léchée, avec son grain vidéo et sa direction artistique pas toujours très claire. Avec un petit budget et beaucoup d’idées, Hanna Bergholm tricote une histoire de symbiose monstrueuse, bien évidemment nourrie à la matrice cronenbergienne et à tout un tas de fictions basées sur la relation interdépendante entre un enfant et une créature incontrôlable et encombrante (au hasard, Elmer le remue-méninges ou… E.T. ?). De beaux maquillages prosthétiques et numériques se chargent de donner vie à cet « ego » féroce et repoussant, dont la forme changeante annonce un twist de fin aussi gonflé que familier – une autre figure récurrente du fantastique y triomphe de manière tragique, mais prévisible.
« Avec un petit budget et beaucoup d’idées, Hanna Bergholm tricote une histoire de symbiose monstrueuse. »
Avec ses animaux innocents sacrifiés à la première occasion, ses personnages secondaires transformés en dommages collatéraux dès que l’horreur s’installe, sa progression patiente vers l’irréparable, Egō ne propose rien de véritablement neuf à ce niveau. Mais il marque des points grâce à la force de ses personnages. Bergholm ne se gêne pas pour faire de tous les mâles du film des lâches et des incapables (du père impuissant au fiston ultra-fayot en passant par l’amant viril mais qui rebrousse chemin dès que les ennuis s’annoncent), pour mieux sublimer la relation entre ses deux personnages principaux. Dans le rôle exigeant de l’ado Tinja, gymnaste pas assez douée pour satisfaire pleinement son énervante mère, Siiri Solalinna est une révélation. Son interprétation fiévreuse, pleine de rage contenue, s’avère idéale pour tenir tête à Sophia Heikkilaä, qui dans le rôle d’une mère frivole et superficielle, pas exactement habitée par la fibre maternelle, lâche carrément les chevaux dans chaque séquence. Leur complexe duo, bâti sur un mélange d’amour absolu, de frustration, de jalousie et de sororité malvenue (la discussion du changement de papa comme s’il s’agissait d’un nouveau papier peint) constitue l’autre force motrice d’une série B craspec comme il faut – espérons que vous ne soyez pas sensible aux scènes de vomi !